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Par Carenews INFO - Publié le 8 novembre 2023 - 15:00 - Mise à jour le 10 novembre 2023 - 15:13 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Engagement des jeunes : « On assiste, d’une certaine manière, au retour du grand soir » (Claire Thoury, Mouvement associatif)

La présidente du Mouvement associatif, docteure en sociologie, publie le 26 octobre « S’engager. Comment les jeunes se mobilisent face aux crises. » (Les Petits matins). Le livre s’intéresse à la façon de s’engager des jeunes d’aujourd’hui et propose des pistes pour transformer cet engagement en alternative politique concrète. Entretien.

Claire Thoury s'intéresse à l'engagement de la jeunesse. Crédit : Mouvement associatif
Claire Thoury s'intéresse à l'engagement de la jeunesse. Crédit : Mouvement associatif

 

  • Dans votre livre, vous évoquez les formes d’engagement des jeunes qui ont évolué avec l’individualisation de la société. Comment ?

 

En 1997, le sociologue Jacques Ion a théorisé le passage d’un engagement « timbre » à un engagement « post-it ». L’engagement timbre est total, intense, caractérisé par une adhésion très forte à une structure comme un parti politique ou un syndicat. C’est un engagement très collectif, qui implique des sacrifices pour un hypothétique « grand soir ». 

Dans les années 70, ce fut le tournant de l’individu. Le moment où les individus se sont émancipés de leur collectif d’appartenance. Puis il y a eu la fin de l’URSS, la chute très symbolique du mur de Berlin, et avec ça la fin des grandes idéologies. On s’est dit que le grand soir n’arriverait peut-être pas. 

De là, s’est engagée une forme de recomposition des formes d’engagement. On parle alors d’engagement post-it. Ce sont des engagements réversibles, ponctuels et pragmatiques. On ne s’engage pas pour un hypothétique grand soir, mais en ayant envie de voir les résultats concrets de son action. 

On s’engage toujours dans des structures, mais plus du tout de manière sacrificielle. Avec cet engagement post-it, ce n’est plus la structure qui définit l’individu, mais l’individu qui cherche à trouver sa place dans la structure et qui la définit. Si je milite pour la transition écologique à un endroit, mais que cela ne me convient plus, je peux décider de m’engager pour la même cause, mais ailleurs.

 


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  • La façon de s’engager actuelle des jeunes est-elle toujours celle-ci ?

 

Chez les très jeunes notamment, depuis la fin des années 2010, on observe une troisième ère de l’engagement. C’est la génération Greta Thunberg. 

De très jeunes se mobilisent autour de grandes causes : le climat, l’égalité entre les genres, la lutte contre le patriarcat, la dignité dans l’accueil des migrants ou encore la lutte contre la précarité. Ils se mobilisent pour voir le monde changer, et cela de manière radicale. C’est-à-dire qu’ils veulent voir la société changer en profondeur et souhaitent que les problèmes soient traités à la racine, de façon radicale. Ils veulent, d’une certaine manière, un grand soir. 

Mais contrairement à l’engagement timbre, ils ne veulent pas d’un grand soir hypothétique. Ils préfèrent un changement tout de suite, maintenant, car ils n’ont pas le temps d’attendre 20 voire 40 ans. Il y a une forme d’impératif, l’idée qu’on n’a pas le choix et qu’il faut faire les choses de manière ambitieuse. 

Ainsi, on assiste au retour du collectif, puisque le changement est tellement important qu’il ne peut pas se faire tout seul. Mais, la différence avec l’engagement timbre est que cet engagement articule le collectif et l’individu car il conditionne aussi l’épanouissement individuel.

 

  • Vous dites que pour la jeunesse l’engagement ne se fait pas aux dépens d’une quête de bien-être. Comment cela se manifeste-t-il ?

 

Les jeunes attendent de l’exemplarité de la part des organisations, c’est-à-dire qu’elles incarnent les valeurs qu’elles défendent. Ils ne viendront pas vers nos organisations si nos discours sont en dissonance avec nos pratiques. 

Les jeunes attendent de l'exemplarité de la part de nos organisations. »

De plus, les jeunes cherchent à changer le monde, mais aussi à s’épanouir. Ils ne vont donc pas se mettre en danger, aller dans des structures pour travailler avec des personnes qu’ils qualifient de « malveillantes », qui ne les respectent pas. Il ne s’agit pas de se faire du mal.

 

  • Selon vous, les structures d’engagement ont-elles suffisamment pris en compte ces nouvelles aspirations ?

 

Cette bascule dans une troisième ère de l'engagement n’est pas encore très bien perçue par les organisations. Nous sommes t encore en train de digérer le passage à l’engagement post-it. 

Avec ce livre, je voulais alerter sur le fait que quelque chose est en train de changer. Si nous ne sommes pas attentifs à ce que les jeunes nous disent et à la façon dont ils nous le disent, ils risquent d’aller s’engager ailleurs. C'est un risque pour nos organisations, mais aussi pour le combat de ces très jeunes. Le risque, en s’engageant en dehors de tous les espaces traditionnels et institutionnels, est qu’il n’y ait pas de débouché politique. C’est le moment pour nous de capter cela car sinon cela risque de créer beaucoup de déceptions.

 

  • Les jeunes sont toujours engagés mais votent de moins en moins. Comment expliquer ce paradoxe ?

 

Les jeunes, mais pas uniquement. On assiste à une crise de la démocratie représentative, avec un sentiment chez les citoyens de ne pas avoir de prise sur les décisions qui nous concernent et que les décisions prises sont éloignées des préoccupations.

Il faut penser la démocratie comme un triptyque. Il y a la démocratie représentative, légitimité incontestable. Mais elle a besoin de deux autres formes de démocratie. De la démocratie participative, pour redonner le pouvoir d’agir aux citoyens. Mais aussi de la démocratie sociale et civile, qui passe par les corps intermédiaires. Pourquoi ? Car notre démocratie a besoin d’aspérités. C’est le rôle des corps intermédiaires, d’exprimer le réel, de pointer les problèmes, pour que la décision soit construite en acceptant la complexité. 

Il faut réenchanter les corps intermédiaires. »

 

Il faut donc réenchanter les corps intermédiaires, tout faire pour qu’ils reprennent du poids et du pouvoir, et ainsi qu’ils renforcent à terme la démocratie représentative. La légitimité de l’élection est incontestable, je me battrai toujours pour la défendre. En revanche, ce n’est pas parce qu’on a été élu par le peuple que l’on doit décider tout seul. Sinon, cela peut alimenter les colères et les humiliations et potentiellement créer des ruptures. 

 

  • Vous évoquez dans le livre le Pacte de pouvoir de vivre, une alliance de 19 organisations de la société civile initiée par la CFDT. De quoi ce mouvement est-il représentatif ?

 

Il montre que les corps intermédiaires peuvent se renforcer s’ils sortent de leurs silos. Il faut accepter la dimension politique de notre action. Ce qui est intéressant, c’est de faire se rencontrer les causes entre elles pour porter quelque chose de plus grand. C’est ce que fait le Pacte du pouvoir de vivre. Il porte un projet de société qui dépasse les organisations qui en font partie : faire face à l’urgence sociale et écologique et aboutir à des propositions concrètes pour en sortir. 

 

  • Quel regard portez-vous sur les jeunes qui s’engagent à l'extrême droite ?

 

Cela me préoccupe. Les ressorts ne sont pas les mêmes que pour les engagements évoqués dans le livre car la finalité est différente. Cependant, on retrouve l’intensité et l’idée de changement radical. Par contre, à l’inverse, ces jeunes sont dans les institutions puisqu’ils sont dans les partis.

 

  • Durant le XXe siècle, les partis politiques délivraient un cadre théorique aux militants, le même pour tout le monde. Par exemple, le Parti communiste diffusait la théorie marxiste. Qui aujourd’hui pour donner un cadre théorique à cette jeunesse ?

 

Il y a effectivement un problème. Nous avons une culture politique construite sur l’expérience. C’est très important. En revanche, comme les expériences des uns sont différentes de celles des autres, il peut être compliqué de parvenir à un récit de référence. Je ne parle pas d’une adhésion bête et méchante, mais de la nécessité que l'on ait les mêmes mots pour que l’on puisse se comprendre. Il faut donc réenchanter les corps intermédiaires et redonner les lettres de noblesse à l’éducation populaire.

 

S’engager. Comment les jeunes se mobilisent face aux crises. Les petits matins.
S’engager. Comment les jeunes se mobilisent face aux crises. Les petits matins.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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