Financement, notoriété, impact… La Cour des comptes s’intéresse à l’ESS
L’institution comptabilise et analyse les soutiens publics attribués à l’économie sociale et solidaire dans un rapport publié le 18 septembre. Elle étudie aussi sa notoriété et son évaluation statistique. La Cour déplore notamment une « absence de vision d’ensemble au niveau de l’État ».

Comment la puissance publique soutient-elle les associations, mais aussi les fondations, mutuelles, coopératives et sociétés commerciales de l’ESS ? Ces structures ont pour point commun une lucrative limitée, une gouvernance plus démocratique et un but « autre que le seul partage des bénéfices ». La Cour des comptes s’intéresse à la reconnaissance et aux financements de ce mode d’entreprendre dans un rapport publié le 18 septembre, issu d’une sollicitation déposée sur sa plateforme citoyenne, qui a « rencontré un nombre significatif de soutiens ».
L’ESS représente 13,7 % des emplois privés en 2021, rappelle l’institution, en s’appuyant sur les derniers chiffres disponibles de l’Insee. Elle compte 207 894 établissements employeurs. Les associations emploient 2,1 des 2,7 millions de salariés concernés.
Sport, appui aux personnes âgées et à la petite enfance, culture, cohésion sociale, mais aussi finance et assurances… Les acteurs de l’ESS « ont des finalités diverses et une activité multisectorielle », ainsi que des « des modèles économiques aux différences très marquées ». Mais compte tenu du « rôle central » qu’une partie d’entre eux joue « pour faire face à des besoins sociaux croissants », notamment les associations, ils reçoivent des financements publics.
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ESS France parle de la « fable d’une économie subventionnée »
La Cour évalue le soutien de l’État à l’ESS à 16 milliards d’euros en 2024, sans prendre en compte les dépenses de ses opérateurs comme l’Ademe, l’Agence gouvernementale de la transition écologique. Celui des collectivités territoriales s’élève à « près de 6,7 » milliards d’euros en 2023. D’autres fonds accordés à l’ESS proviennent des branches de la Sécurité sociale et de l’Union européenne. Ces montants n’incluent pas l’attribution de marchés publics, mais comprennent les subventions, y compris les aides au poste, et les déductions fiscales.
Dans le détail, les subventions de l’État et des collectivités sont en grande majorité attribuées aux associations et structures employeuses. 80 % d’entre elles sont versées par l’État pour « garantir des droits ou assurer des services dans le prolongement de [son] action », indiquent les auteurs, citant l’hébergement d’urgence, le soutien à l’enseignement privé et à l’éducation, l’accompagnement social et l’aide alimentaire ou encore l’accueil et l’orientation des réfugiés et des demandeurs d’asile.
« Alors que le Sénat a évalué à 211 milliards le montant des aides publiques aux entreprises, les 16 milliards d’euros supplémentaires en soutien à l’ESS ne représentent donc que 7 % [7,5 %] du total des aides aux entreprises. Ce montant est bien inférieur à la part de l'ESS dans l’emploi privé », a réagi ESS France, l’association représentative des acteurs de l’ESS, dans un communiqué. Le rapport « tord le cou à la fable d’une économie subventionnée », peut-on lire dans le communiqué.
Des subventions insuffisantes ?
La Cour constate une « augmentation des soutiens publics » entre 2018 et 2024 pour l’État et entre 2018 et 2023 pour les collectivités. Mais cela « ne traduit pas une préférence affichée des acteurs publics pour ce mode d’entreprendre et ne s’inscrit pas dans une stratégie » pointe la Cour soulignant une « absence de vision d’ensemble au niveau de l’État ». Elle appelle donc à « assurer un pilotage stable de la politique de soutien » à l’ESS et à « renforcer la coordination entre l’État et les collectivités territoriales » sur le sujet.
« À champ constant et en corrigeant l’inflation, les subventions dédiées à l’ESS augmentent moins que le budget de l’État, et ce, malgré l’augmentation des besoins sociaux auxquels l’ESS apporte des réponses. Ces éléments confirment l’insuffisance des moyens publics en soutien à l’ESS », déduit ESS France du rapport.
L’appui de l’État au développement des acteurs de l’ESS s’élève à 20,1 millions d’euros. Il se traduit surtout dans le « soutien aux têtes de réseaux et à des dispositifs d’accompagnement des acteurs de l’ESS ». En revanche, « peu de moyens [sont donnés] au développement de l’innovation sociale », notent les auteurs.
Un regard porté sur les investissements publics et privés
La Cour analyse aussi l’offre de financement proposée par les investisseurs publics. Celle-ci « exclut une partie des acteurs de l’économie sociale et solidaire », notent les auteurs. En cause, notamment, « le refus de [la banque publique] Bpifrance de comptabiliser les titres participatifs comme des fonds propres », alors qu’ils constituent un « mode de financement important des coopératives », ou l’absence de soutien par la Caisse des dépôts et consignations à « l’amorçage des projets très risqués » ou aux « projets des associations non-employeuses et des petites associations ».
Pour orienter davantage de fonds privés vers l’ESS, la Cour recommande de renforcer la communication des établissements financiers sur les dons solidaires proposés aux détenteurs de livrets de développement durable et solidaire (LDDS) et sur les fonds solidaires proposés aux détenteurs de contrats d’assurance-vie, finançant tous deux des acteurs de l’ESS.
« Un déficit de visibilité et de notoriété »
L’institution considère également que l’ESS et son impact sont mal évalués d’un point de vue statistique : il serait pourtant nécessaire de « mesurer régulièrement les apports de ce tiers secteur au développement économique et social et à la cohésion territoriale », affirment les auteurs.« Malgré une présence dans tous les territoires et un rayonnement international de la définition française de l’économie sociale et solidaire, celle-ci souffre d’un déficit de visibilité et de notoriété au plan national », ajoutent-ils.
Avec « la généralisation des démarches » d’engagement social et environnemental au sein des entreprises conventionnelles et l’apparition des entreprises à mission, dont l’objet social intègre des objectifs sociaux et environnementaux, « les différences entre ce mode d’entreprendre et les pratiques des entreprises conventionnelles sont plus difficiles à cerner », estiment-ils. La Cour invite donc « à promouvoir les spécificités de ce mode d’entreprendre », notamment au moyen d’un guide élaboré en 2017 par le Conseil supérieur de l’ESS, présentant les bonnes pratiques pour les acteurs de cette famille en matière de gouvernance démocratique, politique salariale ou encore développement durable.
Célia Szymczak