Le BAL Café, le nouveau restaurant du Recho conjugue plus que jamais la solidarité et l’engagement dans l’assiette !
L’équipe de l’association Le Recho s’est installée dans un lieu artistique près du quartier populaire de la place de Clichy à Paris pour ouvrir un nouveau restaurant d’insertion destiné aux personnes réfugiées. Reportage.
C’est dans une impasse pavée dont le 18e arrondissement de Paris a le secret que l'association Le Recho a installé son nouveau restaurant solidaire, Le BAL Café, en octobre 2022. Niché dans un centre culturel dédié à l’image et à la photographie, ancien cabaret avec une salle de bal, le restaurant sert, le midi principalement, un menu engagé à 100 % végétarien. « C’est vraiment une pépite ici », nous précise Vanessa Krycève, cuisinière et actrice, fondatrice de l'association en 2016 avec douze autres femmes. La mission est toujours aussi forte tant dans les actes que dans les mots : « restaurer humainement » les personnes arrivantes contraintes de fuir leur pays le plus souvent en guerre.
Le Recho, association d'insertion pour les personnes réfugiées
Le Recho, comprenez « REfuge CHaleur Optimism », accompagne ces femmes et ces hommes en les formant aux métiers de la restauration afin de leur offrir la possibilité de se réinsérer dignement.
Après un premier essai retentissant boulevard Exelmans avec le restaurant éphémère Les Cinq Toits, où Le Recho avait pris ses quartiers dans une ancienne caserne de gendarmerie du sud du 16e arrondissement parisien, fermé depuis 2019, l’association continue son développement.
Aujourd’hui, Vanessa Krycève se rend compte du chemin parcouru. « On est passé d’un modèle associatif avec un état d’esprit “asso” à un fort développement opérationnel, ce qui nécessite de se structurer en entreprise sur les aspects financiers et managériaux ». Car l'entreprise se transforme.
D’association à entreprise d’insertion
D’association en 2016, avec le restaurant à Exelmans et ses fondatrices bénévoles, le modèle devient une véritable entreprise sociale avec ses trois nouvelles ouvertures en 2022 : le 211 à La Villette en restauration rapide (mais bio) en novembre dernier, le BAL Café donc en septembre dans le 18e et le laboratoire traiteur à Issy-les-Moulineaux en janvier 2023.
Au total, seize personnes ont été accompagnées en insertion dont sept qui avaient au départ un statut « premières heures » très précaire, et trois d’entre elles sont restées en insertion au restaurant Cinq Toits d’octobre 2020 à fin 2022.
« Notre objectif dans les prochains mois est d'accélérer sur l’activité traiteur qui s’adresse aux grandes entreprises qui veulent s’engager socialement et environnementalement avec nos produits bio et locaux » observe Vanessa Krycève.
Concernant la partie financière, elle fonde de beaux espoirs sur cette activité de traiteur qui devrait « devenir la locomotive de l'activité à terme ». En effet, la belle croissance de ces dernières années lui permet de faire de belles projections. « On augmente de 100 % chaque mois par rapport à l’année dernière, et ce depuis ses six premiers mois de l’année. On aimerait augmenter de 300 % ! Quand on regarde les chiffres, on a commencé en 2016 avec un chiffre d’affaires de 60 000 euros, puis 80 000 en 2017, et en 2022 on a fait 350 000 euros ».
Parmi les projets, l’ouverture d’un chantier d’insertion dans les prochains mois, en région Aura ou Île-de-France nous confie Vanessa Krycève, « cela nous permettrait d’amplifier l’intégration et l’insertion professionnelles des personnes, de l’entreprise vers une sortie positive ».
Former des cuisiniers engagés
Actuellement sept personnes sont en contrat à durée déterminée d’insertion, renouvelable une fois, et elles restent en moyenne près d’un an en formation. « On peut les accueillir maximum 36 mois et même après, on peut les accompagner pour l’ouverture de leur restaurant », souligne Vanessa Krycève. Près de 70 % de ceux qui sortent du Recho retrouvent un nouvel emploi.
Pour les cuisiniers en formation, c’est un vrai virage dans leur vie professionnelle et personnelle qui s'amorce. C’est le cas pour Besim Olmez, d’origine turque, qui a commencé sa formation en octobre 2022. À 42 ans, c’est un nouveau départ pour lui. « La cuisine, c’est le premier métier que j’ai exercé après mes études au lycée ».
Une façon de renouer avec ses origines
Besim renoue ainsi avec une profession qu’il a quittée dans les années 2000. Commis de cuisine dans une célèbre chaîne de brasseries parisiennes, il a suivi une formation de cuisinier vers 18 ans dans une école de restauration à Pantin pendant un an, « mais je n’ai pas pu valider mon CAP. » À l’époque, Besim est jeune et plutôt enclin à passer beaucoup plus de temps avec ses amis du quartier. Ce n’est qu’en 2021 qu’il reprend une activité professionnelle, mais éloignée de la cuisine. L’année d’après, aidé par une association à Montreuil-sous-Bois (93), il y refait son CV et passe l'entretien avec Le Recho.
Sa formation au BAL Café est une façon de « sortir de ses problèmes d’avant ». Avec un nouveau travail, un nouveau logement, « je me sens plus autonome, je fais en sorte d’avancer dans ma vie » explique Besim. En rupture familiale dans sa jeunesse, il retourne voir ses parents et ses frères et sœurs de temps en temps en région parisienne. « Je vois peu ma famille ». Réfugié politique turc comme eux, il est né à Sipoli en Turquie, vers la frontière avec l’Irak. « Je suis arrivé en France en 1986, à l’âge de cinq ans, je suis resté en famille d’accueil trois à quatre ans avec mes frères ».
Besim raconte ne pas avoir appris la langue turque ni avoir grandi avec la communauté turque, « mais plus avec mes amis français ». Son statut de réfugié politique ne lui permet pas de voyager en Turquie librement. « J’aimerais aller en Turquie, mais je me demande si je ne serai pas contraint de faire l’armée. Je ne souhaite pas faire la guerre ».
Besim précise ne pas trop se souvenir de son pays. « Un jour, j’aimerais revoir mon pays et découvrir ma culture, là où j’ai grandi. Je suis Assyro-chaldéen, c’est la troisième plus ancienne civilisation du monde, ma langue natale est l’araméen. Nous sommes considérés comme les premiers chrétiens d’Orient. Mais nous avons été persécutés dans les années 80/90 et c’est pour cette raison que mes parents ont fui la Turquie à ce moment-là ».
Besim reste nostalgique de sa culture, qui, d’après lui, n’est pas si bien connue en France. « J’en parle avec mes amis, je leur dis que je suis turc, plus précisément Assyro-chaldéen, mais personne ne connaît. »
Une nouvelle vie qui débute
Aujourd'hui, il affiche un beau sourire et se dit satisfait d’avoir réussi à se réinsérer. « La cuisine est mon meilleur métier. Je suis heureux de venir travailler. Je me lève tôt (rires), c’est important, avant je me laissais aller. J’ai des petites responsabilités et on me fait confiance. J’ai les clés pour ouvrir le restaurant. Je m’occupe même du stagiaire en ce moment, qui va rester avec nous en apprentissage », sourit Besim, enthousiaste.
Quand on lui demande où il se voit dans cinq ans, il s’imagine soit à Paris à la tête de son propre restaurant, pourquoi pas avec un associé, soit à l’étranger. « Je reviendrai quand même en France voir la famille, les amis. Si je réussis, je pourrai les inviter à me rejoindre, même si je suis loin », conclut-il.
Christina Diego