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Par Carenews INFO - Publié le 22 janvier 2025 - 17:08 - Mise à jour le 22 janvier 2025 - 17:13 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Poiscaille, des « paniers de la mer » pour une pêche plus éthique

Depuis son lancement officiel en 2015, Poiscaille s’est donnée pour mission de défendre la petite pêche française, tout en protégeant mieux les ressources marines. Livrés sous forme de « casiers » par internet et répondant à des critères environnementaux précis, les produits incarnent le mantra de l’entreprise : permettre aux pêcheurs de gagner plus, pour pêcher moins.

Les casiers Poiscaille permettent aux clients de redécouvrir des produits de la mer souvent délaissés. Crédit : Poiscaille
Les casiers Poiscaille permettent aux clients de redécouvrir des produits de la mer souvent délaissés. Crédit : Poiscaille

 

Son concept est inspiré de celui des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) et de leurs paniers de fruits et légumes bios, vendus à un prix juste par un producteur à un groupe de consommateur.  

Avant de lancer Poiscaille, son entreprise de vente de produits de la mer sous forme de « casiers », Charles Guirriec, bordelais passionné de pêche à la ligne et ingénieur halieutique de formation, a arpenté les ponts des navires de pêche pour y évaluer les stocks et compter les captures accidentelles de dauphins. « À ce moment-là, j’ai compris que le prix auquel étaient payés les pêcheurs était un critère essentiel pour faire changer l’activité », explique-t-il. 

  

Lutter contre les dérives de la pêche moderne  

  

« Changer l’activité », c’est-à-dire faire reculer les méthodes de pêche intensives qui menacent nos océans. Dans le monde, 25 % des poissons capturés sont rejetés morts à la mer car ils ne sont pas de l’espèce souhaitée ou trop petits, estime un rapport de 2018 de l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). En additionnant à cela la part de pertes dues à des problèmes de conservation ou de réfrigération, ce sont 35 % des prises mondiales qui sont jetées avant d’arriver jusqu’au consommateur. Et ce, alors que les populations d’animaux marins mondiales ne cessent de diminuer. 

Dans ce marasme environnemental, le marché français n’est pas épargné. Seulement 56 % des poissons présents sur nos étals proviennent de la pêche durable, estimait en février 2024 l’Institut français de la recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). 20 % d’entre eux proviennent même de la surpêche, c’est-à-dire d’une pêche qui ne permet pas le renouvellement des populations de poissons en raison de son intensité, et 2 % de populations de poissons considérées comme « effondrées ». 

En parallèle, les conditions de travail des marins-pêcheurs sont particulièrement difficiles, témoigne Charles Guirriec. « Aujourd’hui, certains marins-pêcheurs gagnent très bien leur vie. Mais en contrepartie, ils ont des rythmes intenses et des conditions de travail horribles », estime le fondateur de Poiscaille. 

Vendu à la criée, le poisson voit son prix fluctuer chaque jour. Les grands navires, à bord desquels les salaires sont les plus généreux, augmentent les volumes de production et font baisser mécaniquement les prix, rendant le système économique des petits pêcheurs plus fragile.  

Ce constat a fait naître une conviction chez l’ingénieur halieutique. « Si les pêcheurs sont mieux rémunérés pour leur travail, ils pêcheront moins », affirme-t-il, persuadé de l’envie des marins-pêcheurs de regagner en qualité de vie et en stabilité, plutôt qu’en revenu.  

 


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Des critères objectifs de durabilité : bateaux de moins de 12 mètres et techniques de pêche douces 

  

Pour concilier protection de l’environnement et garanties sociales, Poiscaille repose sur le concept de prix garantis au pêcheur, avant même que le poisson ne soit attrapé par ce dernier. Les clients réservent leur « casier de la mer » sur le site de l’entreprise, selon le prix et la quantité souhaitée. 48 à 24 heures avant la livraison, ils en choisissent le contenu parmi les résultats des pêches proposés.  

Dans la sélection, entre 30 et 60 options de poissons uniquement sauvages, capturés par des pêcheurs français à la journée, utilisant des bateaux de moins de douze mètres de long et des techniques de pêches douces, ce qui exclut notamment la pêche au chalut et à la drague. 

« Nous avons voulu objectiver des critères de durabilité, ce qui n’est jamais le cas sur un étal classique », explique Charles Guirriec, qui réfute l’existence de labels aujourd’hui suffisamment pertinents sur les produits de la mer. Entre la pêche et la livraison au consommateur, 72 heures maximum sont écoulées, promet également Poiscaille. 

Autant d’engagements qui modèlent le pari de l’entreprise, alors que près de 70 % du poisson du marché classique est importé, mais qui fonctionnent, assure le fondateur. 

 « Dès 2017, certains pêcheurs ont commencé à nous expliquer qu’ils arrêtaient leurs sorties en mer le reste de la semaine, car ils gagnaient suffisamment bien leur vie avec nous », met-t-il en avant. Selon un questionnaire réalisé par Poiscaille auprès de ses producteurs il y a deux ans, un tiers des pêcheurs partenaires ont également déclaré pêcher moins.  

 

Poiscaille pêcheurs
L'entreprise a aujourd'hui un réseau de 250 pêcheurs, répartis en France. Crédit : Poiscaille

 

  

Le défi, remettre au goût du jour les poissons « oubliés » 

  

Depuis son lancement sur Facebook « de manière un peu pirate » en 2014, et alors que son fondateur travaillait encore au ministère de l’Écologie, l’entreprise a bien grandi.  

Aujourd’hui Poiscaille compte 27 000 abonnés, c’est-à-dire des clients commandant au moins deux fois par mois ses casiers de la mer, 70 salariés, et 250 pêcheurs et pêcheuses partenaires. La production se répartit sur les rivages français, de la Manche à la Méditerranée, en passant par l’océan Atlantique et même les eaux douces du lac Léman et du Rhône. Le réseau de Poiscaille représente actuellement 5 % de la flotte de pêche du pays. 

« L’avantage d’un réseau diversifié est qu’il nous permet d’avoir des alternatives, en cas d’aléas météorologiques comme des tempêtes. Il répartit nationalement le travail des pêcheurs et crée de la diversité du côté des consommateurs », constate Charles Guirriec. 

Livrés dans 1 800 points relais un peu partout en France, les casiers Poiscaille permettent aux clients de redécouvrir des produits de la mer souvent délaissés. Ainsi, on n’y trouve pas de saumon, de crevettes tropicales ou de cabillaud, mais du lieu, du maigre, de la raie, du brochet, de la vieille commune, du chinchard et même parfois du silure. 

« Pour certaines personnes, ce type de poisson est bon à être jeté. Mais les retours de nos clients sont très positifs. Certains nous disent même qu’ils ont redécouvert le goût du poisson », met en avant le fondateur. Des espèces plus luxueuses, comme le bar, sont également proposées avec un supplément. 

La diversité de produits s’explique par la volonté de préserver les espèces surexploitées et fait reposer essentiellement son succès sur la fraîcheur des produits proposés. En témoigne le chiffre d’affaires de l’entreprise, passé de 1,5 million d’euros en 2019 à 11,5 millions en 2022. 

  

1,3 millions en plus pour les pêcheurs, selon l’Inrae 

  

La société a pourtant fait face à des difficultés récentes, alimentée par la hausse du coût du transport et menaçant en 2024 de causer sa faillite. En danger, Poiscaille lance un appel à ses abonnés en septembre. Ces derniers répondent présents, et lui permettent d’envisager des bénéfices pour la première fois en 2025.  

« Nous payions presque trop cher le poisson. Aujourd’hui nous sommes obligés de réduire les prix, tout en restant mieux-disant pour les pêcheurs », reconnaît Charles Guirriec. Poiscaille vend son poisson environ 30 à 40 % plus cher que la grande distribution, soit « le même prix qu’un poissonnier de quartier », explique son fondateur. « Ce n’est pas si cher par rapport à notre engagement », défend-t-il. 

Du côté des producteurs, il est difficile d’établir des chiffres précis, en raison de la fluctuation des ventes à la criée.  

Une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), du CNRS et de l’Université de Nantes estime cependant à 14,4 % le surplus moyen de chiffre d’affaires mensuel touché par les pêcheurs collaborant au moins une fois avec Poiscaille dans l’année, par rapport à la vente à la criée réalisée dans les mêmes conditions de pêche. Entre 2017 et 2021, les sommes versées par l’entreprise ont représenté 1,3 million d’euros supplémentaires au bénéfice des pêcheurs, estiment les chercheurs. 

Aujourd’hui l’équilibre de Poiscaille se fait notamment grâce à la vente de coquillages, de crustacés et de produits de poisson en conserve, qui compensent quand le poisson se fait plus rare. Et permettent à Charles Guirriec de poursuivre son rêve : « que les pêcheurs pêchent moins et que les stocks de poissons se portent mieux ». Si le résultat de son entreprise peut sembler faible face à l’ampleur de la surpêche, le fondateur se réjouit toutefois de son impact principal aujourd’hui : « celui de contribuer à préserver la petite pêche et l’activité à terre ». 

 

Élisabeth Crépin-Leblond

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