Présidentielle : le Revenu Solidarité Jeune de Lyon, un exemple à suivre ?
La série Du Terrain aux Urnes lancée par Carenews part d’expériences du terrain pour essayer d’apporter du grain à moudre au débat de la campagne présidentielle. Direction Lyon pour découvrir le Revenu Solidarité Jeune.
La crise de la Covid-19 a mis sur le devant de la scène une problématique récurrente : la précarité des jeunes. Étudiants privés de petits boulots, jeunes dans l’impossibilité de trouver un premier emploi… Les 18-24 ans sont les plus touchés par la pauvreté en France avec un taux de 23 % en 2018 contre 13 % pour l’ensemble de la population. Le taux de chômage de cette population est également supérieur à la moyenne même s’il a atteint en 2021 son plus bas niveau depuis 2001 grâce à la reprise post-covid et les mesures de soutien.
Mais que faire face à ce problème structurel ? À moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle, Carenews s’est emparé du sujet avec une approche inédite : regarder ce qu’il se passe sur le terrain et essayer de voir comment cela peut être applicable à l’échelle nationale.
Le Revenu Solidarité Jeune expérimenté
En juin 2021, la Métropole de Lyon a lancé l’expérimentation du Revenu Solidarité Jeunes. Il devait s’agir, initialement, d’un RSA jeune, mais qui a dû être réajusté faute d’un accord de l’Etat pour mener une expérimentation. La version appliquée est donc une aide de 400 euros par mois maximum sur une durée de 24 mois. Elle est accordée à des jeunes de moins de 25 ans, non étudiants, sans emploi ou ayant des revenus provenant de l’emploi inférieurs à 400 euros par mois.
« Le but du dispositif est de sécuriser le parcours des jeunes en précarité qui étaient aujourd’hui sans soutien. C’est également de les accompagner dans une démarche d’autonomie avec une levée des freins à la santé, au logement, à l'emploi », précise Séverine Hémain, vice-présidente de la Métropole de Lyon.
Un suivi régulier par les missions locales
Outre le versement mensuel, ce dispositif prévoit un suivi régulier des jeunes par des missions locales ou des associations de la Métropole. « Il y a un accompagnement très régulier des structures instructrices. Un point est prévu tous les trois mois pour réévaluer la situation et savoir où le jeune en est », explique Séverine Hémain. Le jeune s’engage donc également à participer à un certain nombre d’actions vers l’autonomie.
Fin février, 766 jeunes avaient bénéficié du dispositif, 44 % des jeunes bénéficiaires ont trouvé un emploi ou sont en formation. Et 15 % ont accédé à une autre aide comme le contrat d’engagement. La métropole estime qu’il s’agit d’une réussite puisqu’elle a bien touché les jeunes les plus éloignés de l’emploi qui ne le sont pas par les autres dispositifs prévus.
Le Contrat d’Engagement Jeune, outil du gouvernement
Pourtant, un élément est venu changer la donne. Le gouvernement a lancé le Contrat d’Engagement Jeune le 1er mars sur les bases de la Garantie Jeune. Il vise plus ou moins la même population que le dispositif lyonnais. Il propose aux jeunes de 16 à 25 ans, ni étudiants, ni en formation, rencontrant des difficultés à trouver un emploi, une allocation allant jusqu'à 500 euros mensuels.
Néanmoins, il est possible de déceler une différence de philosophie entre les deux dispositifs.
Le Contrat d’Engagement Jeune fait la part belle au retour à l’emploi avec un accompagnement intensif. Au minimum, le jeune doit suivre 15 heures par semaine de suivi, individuel ou collectif encadrées par Pôle emploi ou les Missions Locales. L’objectif est clair : former, trouver un emploi.
« Le contrat d’engagement jeune utile mais pas pour tous les jeunes »
La Métropole Lyonnaise, quant à elle, n’oblige pas pendant les six premiers mois à travailler sur un projet d’insertion et d’orientation. Par la suite, l’objectif est moins de trouver un emploi directement que de raccrocher le wagon, s’insérer de manière plus globale. Découle donc une population visée différente, comprenant notamment des jeunes à la rue ou en très grande précarité. Pour les toucher, la Métropole met en place notamment une stratégie du “aller vers”. Elle s’inscrit dans la logique d’un RSA jeune.
« Le contrat d’engagement proposé par l’Etat est utile mais pas pour tous les jeunes », estime Séverine Hemain. « Certains passent à travers les mailles du filet et ce sont eux que l’on veut récupérer et accompagner avec le RSJ ». Finalement, ce sont deux dispositifs, deux populations et deux objectifs différents.
Revenu jeune, du local au national ?
Alors, l’expérimentation de la Métropole de Lyon, qui se veut comme un filet de sécurité pour ces jeunes, peut-elle être une inspiration pour un dispositif national au profit des jeunes les plus éloignés du marché du travail ? Peut-elle conduire à réfléchir à un RSA jeune ?
Plusieurs candidats proposent l’établissement d’un revenu pour les jeunes. Le candidat écologiste Yannick Jadot propose un revenu de base de 740 euros pour tout le monde, et donc accessible dès 18 ans. Fabien Roussel, candidat communiste, souhaite lui l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans.
Mais quelle est la méthode la plus efficace ? Un revenu inconditionnel qui découlerait, plus ou moins, de la philosophie du dispositif lyonnais ? Le renforcement du dispositif actuel ?
Politique active ou redistribution ?
Thérèse Rebière, maître de conférence au Cnam, économiste du travail, explique la différence entre ces deux approches, celle du transfert de revenu, et celle de l’employabilité :
« Le Revenu de solidarité Jeune vise à atténuer les effets de la précarité, mais ne résout pas le problème de l'employabilité, qui doit être traité par une politique active avec la prise en compte du volet adéquation offre-demande », explique l’économiste. « C'est en ce sens que des dispositifs avec ces mécanismes permettant de rapprocher ces publics de l’emploi sont plus efficaces qu'une mesure de redistribution pure ».
Alors un revenu pour la jeunesse, oui, mais adossé à un dispositif incitatif. Concernant le récent Contrat d’Engagement Jeune, allant dans ce sens, l’économiste se veut plutôt positive :
C'est un dispositif ciblé qui offre un revenu de substitution aux jeunes les plus éloignés de l'emploi sous réserve d'un engagement à s'investir dans son parcours d'insertion, sans quoi le contrat est rompu. Il y a donc bien une contrepartie d'engagement à ce contrat qui n'est donc pas un blanc-seing », détaille Thérèse Rebière.
Des approches réconciliables ?
Dans une note réalisée pour TerraNova, Tom Chevalier, chargé de recherche au CNRS, estime que l’ouverture d’un RSA jeune ne serait pas incompatible avec le renforcement du Contrat d’Engagement Jeune et donc une politique active. Mais pour ce faire, il estime que cette garantie doit devenir une vraie prestation légale d’assistance chômage :
Il faudrait ainsi que le Contrat d’Engagement Jeune (CEJ) ne soit pas limité dans le temps et qu’il ne soit pas contingenté, pour devenir un véritable droit social. Le RSA couvrirait alors les profils non couverts pour le CEJ, tandis que le CEJ couvrirait les jeunes en recherche d’emploi. L’absence de limite dans le temps permettrait de mieux prendre en compte les freins périphériques à l’emploi qui peuvent peser sur les jeunes ».
Alors RSA jeune ? Renforcement du Contrat d’engagement Jeune ? Les arguments sont posés, le débat est ouvert.
Théo Nepipvoda