Quelle place pour les banlieues dans les médias ?
Entre angles sensationnalistes et approche angéliste, le traitement médiatique des quartiers populaires entretient parfois leur stigmatisation. Des évolutions se laissent cependant observer, notamment depuis la création de médias tels que le Bondy Blog ou StreetPress.
Lorsqu’on a demandé à Latifa Oulkhouir, directrice générale du Bondy Blog, si, selon elle, le traitement médiatique des quartiers populaires avait évolué, elle nous a répondu : « Beaucoup de personnes nous ont posé cette question, c’est d’ailleurs pour cela qu’on a sorti le livre. » Jusqu’à quand ? (Éd. Fayard, octobre 2020) a été publié à l’occasion des 15 ans du média. L’objectif ? Rendre compte de l’évolution de la situation dans les quartiers en mettant en lumière 15 articles qui ont marqué le Bondy Blog.
Un tournant : la création du Bondy Blog
Le Bondy Blog, depuis sa création en 2005, a réussi à s’implanter dans le paysage médiatique en devenant la référence d’un journalisme qui a « fait bouger le débat public », considère Mathieu Molard, rédacteur en chef de StreetPress pour qui « il faut rendre hommage à ce qu’à fait le Bondy Blog ».
Initialement le Bondy Blog n’était pas un média à part entière. Le projet est né en 2005 à la suite des révoltes enclenchées par les morts de Zyed Benna et Bouna Traoré dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois. Des évènements particulièrement traités sous un angle sensationnaliste estime Latifa Oulkhouir : « On parlait uniquement des voitures qui brûlaient, des faits de violence, mais on ne parlait pas du reste, du quotidien des habitants. »
De ce constat est née l’initiative du journal Suisse L’Hebdo : installer une rédaction à Bondy et raconter les quartiers de l’intérieur en donnant la parole à ceux qui ne l’ont pas. Une approche journalistique qui a plu et a su trouver ses lecteurs. Après trois mois, le Bondy Blog s’est désolidarisé du magazine suisse et s’est constitué en véritable média.
Des évolutions, mais pas de révolution
Quinze ans sont passés. Oui, il y a eu des évolutions, des progrès sur la manière dont les médias traitent l’information des quartiers, mais pour la directrice générale du Bondy Blog, il y a encore du chemin à faire : « Cela serait faux de dire que rien ne s’est passé, mais en même temps il n’y a pas eu de révolution. »
Depuis l’été dernier, l’ancienne juriste observe cependant « un shift dans la manière de traiter les violences policières ». Les journalistes qui, auparavant, s’accordaient à ne donner que la version policière, diversifient désormais leurs sources en se rapprochant, par exemple, des habitants, de la famille, des proches : « On a vu à plein d’occasions que la version des autorités pouvait être fausse. »
Autre facteur qui laisse entrevoir certaines évolutions : l'émergence des réseaux sociaux. L’information ne se trouve plus seulement dans les médias traditionnels, mais sur ces nouveaux canaux s’appuyant, par exemple, sur des vidéos filmées par des citoyens avec leur smartphone : « Cela a joué un rôle très important », atteste Latifa Oulkhouir.
Le besoin d’un regard juste sur les quartiers
Un « mieux » donc dans le traitement médiatique des quartiers populaire qui reste cependant gangréné, selon le rédacteur en chef de StreetPress, par deux tendances stigmatisantes :
Pour schématiser, la banlieue est traitée de deux manières. Soit par le fait divers avec un angle criminogène et sa variante qui est l’intégrisme, le salafisme ou ce grand “gloubi-boulga” qu’est l’islam qu’on accole aux banlieues. Soit, et c’est, selon moi, sur le revers de la même médaille, avec un angle ultra-bienveillant, “ils sont gentils, ils sont braves, ils sont solidaires”.
Alors, que faire pour avoir un regard juste sur ces territoires ? Pour Latifa Oulkhouir : « Il faut appliquer un traitement journalistique classique avec une intégrité intellectuelle qui est indispensable. Il faut raconter les quartiers dans leur globalité. »
Des territoires médiatisés pas comme les autres
Finalement, le point névralgique de ce constat ne serait-il pas qu’on ne s’intéresse pas à ces quartiers comme à n’importe quel autre territoire ? Il est en effet très rare que les médias se rapprochent de ses habitants pour avoir leur avis sur des sujets de société « normaux » telle que la rentrée des classes.
« Est-ce qu’on parle de la banlieue pour voir ce qu’ils pensent de la semaine de quatre jours, de la réforme de Parcoursup ou de la réforme de Pôle emploi ? Pourtant, ce sont des réformes qui les concernent directement vu le taux de chômage dans ces quartiers-là », questionne Mathieu Molard.
Plus de diversités dans les rédactions
Mais changer la place des quartiers populaires dans le paysage médiatique passera nécessairement par des rédactions plus diversifiées, plus représentatives de la société française comme l’indique le rédacteur en chef de StreetPress :
Il faut que les rédactions soient davantage un miroir de la société en intégrant les différentes catégories sociales qui la composent.
Cette représentativité dans les rédactions passe donc par une diversité des profils dans les écoles de journalisme. Il existe par exemple la prépa La Chance ou encore la prépa du Bondy Blog en collaboration avec l’ESJ Lille qui œuvre pour l’égalité des chances dans la filière journalistique. Des initiatives qui démontrent cependant, selon Latifa Oulkhouir « qu’il faut souvent passer par ses dispositifs » pour franchir la barrière sociale et psychologique de ces formations.
Face à ce constat, de nouveaux médias émergent
Le Bondy Blog et StreetPress sont déjà installés depuis quelques années dans le paysage médiatique. Avec l’émergence des réseaux sociaux, de nouvelles initiatives ont vu le jour. Médias officiels, médias en devenir ou seulement pages Instagram, voici une liste non exhaustive d’acteurs qui ont comme point commun de se réapproprier le récit des quartiers :
- Banlieusard Nouveau
Initialement lancé sur Instagram il y a un an et demi, Banlieusard Nouveau est un nouveau média « inspirant avec un regard déconstruit sur les quartiers », explique son fondateur Amadou qui a pu bénéficier de la formation des Déterminés.
- L'écho Des Banlieues
L’écho Des Banlieues est un média indépendant qui s’est implanté sur Instagram et Youtube. Dans ses vidéos, il traite, entre autres, de la culture urbaine et de thématiques telles que les violences policières.
- La ZEP
Constitué en association, ZEP pour Zone d’Expression Prioritaire, est un média qui a vocation à donner la parole aux moins de 30 ans. Ces témoignages ont d’ailleurs fait l’objet d’une série sur Libération.
Lisa Domergue