Virgocoop veut relancer la conception écologique de textiles en France « du champ jusqu’au tissu »
Lancée il y a six ans, cette société coopérative d’intérêt collectif a accompagné des agriculteurs pour qu’ils développent leur production de chanvre, en majorité biologique. Elle dispose aussi d’une usine de transformation et a relancé un atelier de tissage, Tissages d’Autan, en Occitanie. Elle vient d’achever une levée des fonds pour poursuivre son activité.

Produire du textile en France à partir de fibres naturelles dans des conditions environnementales et sociales éthiques et équitables : l’ampleur du projet et sa complexité aurait de quoi en décourager plus d’un. Mais c’est la mission entreprise par Virgocoop, une coopérative basée dans le sud-ouest de la France, depuis son lancement en 2018.
Il y a plus de sept ans, Mathieu Ebbesen-Gouin, Mathieu Thiberville, Clémence Urvoy et Johann Vacandare s’intéressent à la production de textile dans le Lot (Occitanie), dans l’idée de lancer un projet écologique et social. Les quatre amis découvrent que le département disposait au XIXe siècle d’une « vraie industrie locale, à échelle humaine, de production de chanvre textile », raconte Johann Vacandare, aujourd’hui directeur général de Virgocoop. Mais à la fin des années 2010, il n’y a plus rien ou une production très faible sur le territoire. En cause : la délocalisation massive de l’industrie, mais aussi l'explosion du coton et l’arrivée massive de fibres issus de la pétrochimie, comme le polyester ou le nylon.
À rebours de ces matières néfastes pour la santé humaine et la biodiversité, le chanvre présente de nombreuses qualités écologiques. Par exemple, il n’a pas besoin d’irrigation, ce qui lui confère un vrai avantage environnemental par rapport à des matières comme le coton. Il couvre fortement les sols agricoles, limitant l'apparition de plantes adventices, c’est-à-dire non désirées.
Les quatre amis réalisent un test de tissu grâce à du fil de chanvre produit en Roumanie et à Éric Carlier, un tisserand du Tarn-et-Garonne (Occitanie). Ils proposent la toile réalisée à l’Atelier Tuffery, établi en Lozère, qui produit des jeans. L’essai est concluant. « Nous avons donc décidé de créer une coopérative pour porter notre projet de relance d’une filière locale, écologique et à valeur sociale », relate Johann Vacandare.
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Seuls les fils sont fabriqués hors de France
Virgocoop propose donc à des agriculteurs d’Occitanie de relancer une production de chanvre « pour structurer une filière avec des rémunérations justes et équitables ». En 2021, suivant son ambition de monter des filières « du champ jusqu’au tissu », la coopérative reprend, avec les Atelier Tuffery et Éric Carlier, un atelier de tissage de la région qui s’apprêtait à disparaître. La société Tissages d’Autan naît alors. Quatre personnes sont recrutées pour produire du tissu à partir de matières naturelles : du chanvre collecté par Virgocoop, mais aussi de la laine, du lin et du coton biologique certifié Gots, un label garantissant les conditions environnementales et sociales de production.

En parallèle, les fondateurs de la coopérative se mobilisent pour créer une usine de transformation de chanvre, une chanvrière, permettant de séparer la tige de la plante des fibres qui l’entourent. Cette usine, située dans le Tarn-et-Garonne, entre en fonctionnement en 2023.
En revanche, la transformation des fibres en fils fins, l’étape suivante de la fabrication de tissus, est réalisée dans d’autres pays européens. « Il n’existe pas en France de capacité industrielle ou artisanale pour cela », regrette Johann Vacandare. Par la suite, les fils sont directement vendus à des clients ou envoyés à l’atelier de tissage.

Le « contrepied complet de l’industrie textile »
Aujourd’hui, plus de 100 agriculteurs produisent du chanvre pour la coopérative, dont 75 % en agriculture biologique, l’objectif étant de passer à 100 % d’ici à 2027. 1 349 tonnes de chanvre ont été collectées par Virgocoop en 2023. La coopérative propose aussi des produits à destination du bâtiment : la partie intérieure de la tige de chanvre, la chènevotte, est notamment utilisée pour l’isolation. Elle collecte, trie et lave également de la laine de brebis de la race Lacaune, élevées en Occitanie.
Virgocoop est organisée sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (Scic). Cela signifie que n’importe qui peut acquérir une part sociale, d’un montant de 100 euros, pour devenir sociétaire et participer à la prise de décision. Les citoyens représentent aujourd’hui 87 % des 401 sociétaires de la coopérative. « Toute nouvelle personne est la bienvenue ! », précise Johann Vacandare. De rares agriculteurs, les onze salariés de la coopérative et les marques clientes de Virgocoop, à l'instar de l’enseigne de mode éthique Loom, constituent le reste des sociétaires.
Une coopérative où il n’y a pas d’actionnaire majoritaire et qui œuvre en faveur de l’intérêt collectif, c’est le contrepied complet de l’industrie textile conventionnelle », affirme Johann Vacandare. « L’exploitation du textile c’est la concentration des pouvoirs, des richesses et des prédations sur les ressources naturelles et sur l’humanité. Nous proposons un autre modèle économique et social, où l’on s’assure qu’on est solidaire à chaque étape des filières ».
« L’année du développement réel de Virgocoop »
Le 31 décembre dernier, Virgocoop a achevé sa première levée de fonds. L'argent collecté a permis d’acquérir du matériel, mais aussi de stabiliser la situation financière de l’entreprise. « Nous avons besoin d’investir beaucoup, sur le long terme, avec beaucoup de risques et peu de rémunération. Nous reconstruisons des filières ! Cela n’intéresse pas les investisseurs classiques, y compris ceux qui se veulent vertueux sur le plan environnemental », indique Johann Vacandare.
Quant aux acteurs financiers liés à l’économie sociale et solidaire, des banques comme La Nef par exemple, ils constituent des soutiens « importants » - ils ont doublé la capacité d’investissement de Virgocoop - mais ne sont « pas encore à la hauteur des enjeux industriels ». Johann Vacandare évalue les besoins d'investissements à deux millions d’euros, « dans une logique industrielle très forte ».
Nous investissons depuis un an et demi dans l’usine de transformation de chanvre, avec des petits moyens au regard de ce que font les grandes coopératives agricoles. On est un petit poucet, mais nous tenons le coup », poursuit-il.
Le chiffre d’affaires avoisine les 250 000 euros en 2024. Mais Johann Vacandare constate une « demande importante sur les fibres textiles, non textiles et sur la chènevotte [destinée à l’isolation] ». Ainsi, le directeur général table sur un chiffre d’affaires multiplié par quatre cette année, atteignant le million d’euros. « 2025 sera l’année du développement réel de Virgocoop », assure-t-il.
Célia Szymczak