Olivier Perrin : « Aller vers un métier de la transition écologique et solidaire ne signifie pas forcément se reconvertir »
C’est la rentrée et vous vous posez des questions sur votre métier ? Vous vous demandez comment aller vers une activité professionnelle qui a du sens ? Le coach et formateur Olivier Perrin, auteur d’Oser les métiers de la transition écologique et solidaire donne des clés d’analyse.
Ingénieur de formation et ancien fonctionnaire du ministère de l’Écologie, Olivier Perrin est aujourd’hui coach en transition professionnelle engagée et conseiller en bilan de compétences pour l’organisme de formation Mon job de sens, ainsi que directeur associé du cabinet White Spirit Narratives. En mai il a publié l’ouvrage Oser les métiers de la transition écologique et solidaire. Donner du sens à votre travail, dans lequel il donne des clés pour aller vers plus d’engagement à travers son activité professionnelle.
- Qu’est-ce qu’un métier de la transition écologique et solidaire ?
Il n’y a pas de définition unique. C’est un métier où la personne a l’impression d’apporter sa contribution à la société qu’elle souhaite voir apparaître. Aujourd’hui il y a deux aspects sur lesquels il y a beaucoup de souhaits d’évolution : celui d’une société plus écologique qui détruise moins le vivant et qui respecte mieux les conditions de la survie des humains, et celui d’une société plus solidaire avec moins de discriminations et de mal-être.
Dans ce contexte, tous les métiers qui y contribuent, par un biais ou un autre, font partie de la transition écologique et solidaire.
Dans le livre, je centre mon propos sur le sens. Il s’agit de donner du temps professionnel pour contribuer à ce qui a du sens pour nous, ce qui n’est pas évident car il y a des vents contraires. C’est pour cette raison que j’emploie le mot « oser » au début du titre.
- Comment définir le sens ? Est-il propre à chacun ?
Il y a d’abord trois définitions du mot « sens » dans la langue française : le sens comme direction, le sens comme signification et le sens comme sensorialité.
Si l’on balaie ces trois points au niveau professionnel, des réponses arrivent très vite.
Derrière la question de la direction, se trouve par exemple la question de « pour qui travaille-t-on et pourquoi ? » ou « comment notre métier influe sur la capacité future de nos enfants à vivre sur la planète ? ».
La signification, quant à elle, renvoie à ce qu’on comprend de son métier, de ses tenants et aboutissants. De nombreux travailleurs souffrent ainsi de ne pas voir les résultats de leur travail car ils sont enfermés dans une chaîne très longue.
La sensorialité enfin est également un point fréquemment abordé dans les reconversions. C’est notamment le cas dans les retours à l’artisanat et l’agriculture, où le besoin que le corps reprenne sa place se fait souvent ressentir.
En creusant, j’ai trouvé sept autres significations au mot « sens » du point de vue anthropologique, philosophique… Le but est de permettre au lecteur de trouver ce qui lui convient et d’utiliser ses définitions du sens comme un diagnostic de sa situation. L’erreur serait de définir le sens de manière dogmatique et généraliste.
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- Quel est le premier conseil que vous donnez à quelqu’un qui souhaite trouver plus de sens dans son travail ?
Derrière la volonté de participer à la transition écologique et solidaire il y a souvent la question de la contribution. Souvent je commence l’exploration par cette question : « à quoi ai-je envie de contribuer ? »
Souvent les personnes ne savent pas ce qu’elles veulent, à part être utiles à l’environnement. Alors j’ai développé des stratégies pour les aider à avancer en posant des questions comme : « qu’est-ce qui vous met le plus en colère ? ».
J’ai aussi développé tout un passage sur les freins et les obstacles. Une première peur très fréquente est celle de manquer d’argent et de perdre un niveau de vie et de revenu. La deuxième est souvent liée au regard des autres, notamment des parents, du conjoint ou des enfants.
Les peurs sont aussi liées à un potentiel changement d’identité qui est très corrélé au fait que le travail est encore un énorme facteur de définition. Cela peut alors être difficile de changer parce que la personne a l’impression qu’elle ne sera plus reconnue aux yeux des autres.
Mais aller vers un métier de la transition écologique et solidaire ne signifie pas forcément se reconvertir. Il est possible de transformer son métier, d’évoluer en interne, de faire évoluer son entreprise ou encore de changer d’employeur, voire de région.
- Vous utilisez le terme « oser » et vous parlez des peurs. Pourquoi associe-on les métiers de la transition écologique et solidaire à quelque chose d’instable ou de peu rentable ?
Il y a d’abord le fait que les activités qui rapportent le plus d’argent sont souvent celles qui satisfont les plaisirs de court terme.
Lorsqu’une entreprise propose des produits qui font plaisir aux personnes mais qui ne sont pas bons pour elles, comme les cigarettes ou le sucre par exemple, l’idée est qu’il y aura toujours des gens qui en voudront car ils sont dans un certain état de mal-être.
En revanche, le bien-être sur du long terme demande beaucoup plus d’efforts. Or, les métiers de la transition sont en général beaucoup plus orientés vers le long terme.
Ce ne sont d’ailleurs pas toujours des métiers étiquetés « verts ». Je prends souvent l’exemple du professeur des écoles qui va transmettre à une classe d’enfants des valeurs liés au vivant : comment prendre soin des autres, ne pas être violent, rester sensible à ce qu’il y a autour de nous, … Cela aura un grand impact sur la société sans que cela se voie forcément de l’extérieur.
À l’autre bout de l’échelle, un responsable RSE dans un grand groupe peut recueillir des données, les classer dans un tableau et ne rien changer. Il n’aura alors aucun impact, pourtant il sera classé dans les métiers verts.
D’une manière générale, il est admis que les métiers engagés paient moins et sont moins prestigieux. D’une part, il y a une forme d’endoctrinement du capitalisme qui trouve par exemple prestigieux de travailler dans la finance. D’autre part, le fait que les métiers engagés génèrent un moindre revenu est une idée reçue qui est partiellement fausse. Beaucoup de personnes qui travaillent dans un métier engagé ont un niveau de vie stable. Certains cadres d’ONG par exemple touchent les mêmes salaires que ceux d’une entreprise classique.
Néanmoins, pour se rassurer sur la question financière, il est possible de diversifier ses activités ou d’apprendre à vivre avec moins d’argent. Une méthode anglo-saxonne encourage ainsi les personnes à garder dans un premier temps leur emploi à temps plein mais à prélever dans leur salaire pour faire des dons.
- Vous dites qu’un métier qui a du sens comprend moins de risques de burn out ? Pourquoi ? L’inverse n’est-il pas aussi vrai (un risque d’implication trop fort en raison de l’importance de son métier pour celui qui l’exerce) ?
Parmi les six causes reconnues du burn out (surcharge de travail, manque de contrôle, manque de reconnaissance, difficultés relationnelles, manque d'équité, décalage entre les aspirations de l'individu et les valeurs de l'organisation), il y en a cinq qui sont liées à une perte de sens. Exercer un métier qui a du sens protège en partie du burn out car lorsqu’une personne est motivée par un sujet, elle sera capable à la fois de donner et de se nourrir de son activité.
Mais il y a une limite. Dans les milieux engagés, il existe un risque de travailler sans limites, jusqu’au sacrifice de soi-même, car la cause est énorme et vertueuse. Il faut être attentif à cela.
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- Vous parlez de « six logiques dominantes qui nous préparent un futur sombre » et de « dix nouveaux modèles inspirants et porteurs d’espoir », quels sont-ils ?
Il y a des logiques et des discours dominants dans la société qui sont ceux du conformisme, de la performance, de la concurrence et de l’accélération du temps.
Nous avons en particulier une très mauvaise image de l’humain à cause des penseurs de l’économie classique. Ils défendent l’idée que si chacun optimise son propre intérêt, cela concourra au bien au collectif. Je pense le contraire. La logique du profit fait aujourd’hui que l’on dégrade de plus en plus la qualité des produits alimentaires vendus par exemple.
En revanche, quand les personnes sont passionnées par le métier qu’elles exercent, le qualitatif est tout de suite mis en avant. Il y a d’un côté une logique quantitative exploitante et de l’autre une logique du vivant et de l’artisanat.
Pour qu’il y ait plus de positif que de négatif dans le livre, j’ai proposé dix modèles porteurs d’espoir. Parmi eux, il y a l’économie sociale et solidaire, le commerce équitable et l’économie circulaire. Je parle également de l’économie de la fonctionnalité qui permet d’acheter une fonction plutôt qu’un objet, ce qui est une bonne manière de lutter contre l’obsolescence programmée.
Ce sont des pistes pour montrer des modèles qui ne sont pas tous très connus mais qui sont économiquement prometteurs.
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- Vous proposez au lecteur « une mise en récit de son histoire professionnelle », comme une série à succès. De quoi s’agit-il ?
Le métier joue un très grand rôle dans notre identité. Alors pour changer de métier, il faut changer de récit et de mots que l’on pose sur soi-même.
Je reprends ce que propose par exemple Cyril Dion à un niveau sociétal et je le traduis sur le plan individuel.
Lorsque j’accompagne dans le cadre d’un bilan de compétences, je propose à la personne de raconter des anecdotes professionnelles et de les mettre en scène.
Concernant LinkedIn par exemple, il y a beaucoup de coachs qui ont des idées reçus et enjoignent de faire sérieux ou au contraire d’être disruptif. Personnellement, je conseille de construire son identité sous forme de récit. Il y a une dimension narrative importante.
Olivier PERRIN, Oser les métiers de la transition écologique et solidaire, Dunod, 2024, 200 pages
Propos recueillis par Élisabeth Crépin-Leblond