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Par Carenews PRO - Publié le 11 juillet 2023 - 12:00 - Mise à jour le 11 juillet 2023 - 15:40 - Ecrit par : Christina Diego
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Christophe Itier : « L’enjeu de l’évaluation de la loi 2014 est de crever le plafond de verre sous lequel bute l’ESS, faute de lisibilité, cohérence et exigence »

Évaluation de la loi Hamon, nouveaux mouvements et collectifs, notion d’entreprise à impact… la rédaction s’est entretenue avec Christophe Itier, ancien Haut-commissaire à l’ESS et à l’innovation sociale, sur les dernières grandes actualités qui ont traversé l’écosystème.

Entretien avec Christophe Itier, ancien Haut-commissaire à l'ESS. Crédit CI
Entretien avec Christophe Itier, ancien Haut-commissaire à l'ESS. Crédit CI

 

  • Le Conseil supérieur de l’ESS vient de rendre son rapport sur l’évaluation de la loi Hamon. Un consensus a estimé que la définition de l’ESS, datant de dix ans, convenait à l’ensemble de l’écosystème. Étonnant ?   

 

Etonnant, non quand on connaît les conservatismes à l’œuvre. Mais décevant au regard des enjeux de développement de l’ESS et de la fenêtre historique que représente cette évaluation. C’est plus précisément un quasi-consensus, car des voix d’entrepreneurs sociaux ont rappelé l’importance d’évaluer cette loi, notamment l’article 1 qui porte la définition de l’ESS. 

 

Pourquoi ? Pour répondre à un paradoxe : malgré un contexte où un nombre croissant de citoyens s’interroge sur le sens au travail, sur l'impact social et environnemental de nos modes de consommation et de production, sur la nécessité de davantage de solidarité et d’écologie, l’ESS qui a l’ambition d’incarner cette nécessaire transition environnementale et sociale, n’est toujours pas connue du grand public, des médias, des décideurs politiques ou des acteurs économiques classiques. 

 

Ce manque de lisibilité et de reconnaissance est lié essentiellement à sa définition, tel qu’elle est portée par la loi de 2014, qui était une étape certes importante, mais insuffisante davantage encore aujourd’hui avec l’exigence de transparence que demandent les acteurs économiques et les citoyens aux entreprises, ESS compris.

 

  • Quels seraient les points d’accroche pour réformer la loi ? 

 

Il existe de vraies incohérences. Nombres d’entreprises de l’ESS sont en effet parfaitement en ligne avec son récit politique d’une société plus juste, d’une planète préservée comme La Croix-Rouge, Les Papillons blancs, APF France Handicap, Terres de Liens, Label Emmaüs pour prendre des acteurs emblématiques … 

 

Parce que l’appartenance à l’ESS est systématique quand l’entreprise dispose du statut juridique d’association, de coopérative, de mutuelle ou de fondation, il est étonnant de retrouver par exemple un réseau coopératif d’armureries, des associations de chasse, mais aussi certaines coopératives agricoles dont les agriculteurs eux-mêmes dénoncent les dérives capitalistes ou qui ont été épinglées pour le non-respect de règles phytosanitaires, jusqu’à inspirer des séries télé. Est-ce cela l’ESS ? De par la loi, aujourd’hui oui. C’est cela que nous voulons changer.

Un débat important émerge dans la société, notamment à l’aune des super rémunérations des dirigeants d’entreprises. L’ESS pourrait être à l’avant-garde en appliquant par exemple à toutes les entreprises de son écosystème, la même règle que s’appliquent déjà, depuis 2012, les entreprises publiques, en limitant les rémunérations des dirigeants à 450 000 euros bruts par an. Je ne comprends pas les réticences à cette réforme, d’autant que seule une infime minorité de dirigeants de l’ESS serait impactée. La plupart sont en effet bien loin de ces niveaux de rémunération, choisissant de gagner moins pour agir plus ! 

 

Ce discours dissonant nous conduit, avec d’autres entrepreneurs sociaux et militants de l’ESS, même si nous sommes minoritaires au sein des institutions, à demander une réforme de la définition légale de la loi pour y glisser des critères d'exigence, voire “d'évidence”.  

 

  • Vous insistez beaucoup sur l’importance de rendre plus “exigeante” la définition de l’ESS. Pourquoi ?

 

L’enjeu essentiel de l’évaluation de la loi 2014 est de crever enfin le plafond de verre sous lequel bute l’ESS, faute de lisibilité, de cohérence et d’exigence. 

Aujourd’hui, les consommateurs qui achètent des produits ou des services issus de l’ESS, ne savent pas vraiment si ces derniers sont vertueux ou pas du tout. Ce serait pourtant un formidable levier de développement.

Par ailleurs, il n’y a aucun fondement à ne pas mettre plus d’exigence pour définir les entreprises relevant de l’ESS alors que d'autres entreprises, plus capitalistes, commencent à le faire… Le risque pour l’ESS est d’être décrédibilisée : on ne peut pas prétendre incarner « la norme souhaitable de l’économie de demain » quand on n’est pas plus précis sur cette norme. 

Se pose aussi la question des moyens accordés à cette économie. Dans mes précédentes responsabilités, j’ai été face aux représentants de l’ESS qui réclamaient des politiques publiques, plus de reconnaissance et de moyens. Mais comment privilégier les entreprises de l’ESS dans les politiques d’achat public, leur donner accès à des subventions, des mesures fiscales, sans critères plus précis pour savoir si l’argent public est bien fléché vers des organisations qui œuvrent pour le bien commun et non vers d’autres qui en sont loin, mais qui appartiennent tout autant à l’ESS selon la définition actuelle ? 

Ainsi, si on veut une loi de programmation, comme le préconise le rapport du CSESS pour soutenir cette économie, il faut que le périmètre de cette économie soit beaucoup mieux défini et plus clair. Les pouvoirs publics ne peuvent dédier des moyens spécifiques sans savoir quel est l’impact social et environnemental de ces entreprises. 

 

  • Vous avez participé au lancement du Collectif des entrepreneurs sociaux en mai dernier, aux côtés d’anciens membres du Mouves. Il porte, entre autres, cette voie réformiste de la loi Hamon. Quelles sont les prochaines étapes ? 

 

Nous sommes en train de le transformer en mouvement avec pour raison d’être principale de reconstituer une maison commune pour les entreprises sociales et écologiques, avec un plaidoyer autour de l’ESUS pour faire évoluer cet agrément, en intégrant par exemple des critères écologiques.

Au-delà de ces entreprises, nous souhaitons engager les citoyens, pour en faire un grand mouvement de l’économie sociale, solidaire et populaire. 

Nous allons continuer notre engagement autour de l’évaluation de la loi Hamon. C’est de notre responsabilité de faire bouger les lignes pour les raisons évoquées précédemment. 

Il faut que ce débat soit le plus riche possible, très ouvert, et non comme ce fut le cas au sein du CSESS, avec des stratégies pour obtenir une unanimité. C’est de toute façon au législateur de décider de la suite de l’évaluation de la loi. Nous allons donc l’éclairer sur toutes ses problématiques et alimenter le débat pour faire de cette économie, celle de demain, mais en beaucoup plus exigeante avec elle-même. 

 

  • La semaine dernière se réunissait le collectif lancé par Bastien Sibille pour créer “un fonds citoyen d’un milliard pour la transition écologique”. N’y a-t-il pas un risque de perdre en lisibilité d’avoir plusieurs collectifs ou mouvements ? 

 

Je pense que nous sommes à la fin d’un cycle. L’ESS a connu une vraie avancée avec la loi de 2014. La loi Pacte est venue également la percuter avec les sociétés à mission et la raison d’être. Le sujet de la transition écologique et sociale est plus présent dans l'actualité économique qu’il y a dix ans. Cet ensemble est en train de se recomposer y compris dans ces formes de représentation. Tous ces mouvements sont le signe que l’ESS est loin d’être endormie. 

Les nouvelles générations veulent bousculer les choses avec une autre vision, aspirent à s’impliquer dans les réseaux différemment pour renouveler les générations et la façon d’animer l’écosystème. 

 

  • Vous étiez président du Mouves, avant qu’Impact France ne devienne un Medef “alternatif”. Les nouveaux co-présidents veulent aller encore plus loin en appelant toutes les entreprises classiques à rejoindre ce mouvement patronal. Comment peut-il les convaincre ?

 

Vouloir embarquer le plus d'entreprises possible, plus respectueuses de l’environnement, plus sociales, c’est tout à fait honorable. Après, se définir comme une “alternative à” est bien souvent réducteur et moins productif que de définir sa propre identité, ses propres objectifs.

 

Le Medef est surtout un syndicat employeur présent à la table des négociations patronales avec les partenaires sociaux. Il existe des critères spécifiques pour être représentant patronal d’un secteur qui sont difficiles à obtenir. D’une part en nombre d’adhérents, mais aussi en représentativité conventionnelle, compétences juridiques et en termes de reconnaissance des pouvoirs publics. Et surtout pour quel projet de dialogue social et quels conseils syndicaux les entreprises vont-elles adhérer ? Le fait de fédérer des entreprises qui s'engagent ne suffit pas, à mon sens, à définir le dialogue social que pourraît être le MIF. J’ai toujours été réticent sur le fait de se définir contre le Medef pour attirer des entreprises. Le monde économique n’aime pas trop les clivages. C’est d’ailleurs contre-intuitif avec l’idée d’embarquer le plus grand nombre d’entreprises dans la transition écologique et sociale.

 

  • Vous qui avez créé le French impact, quelle serait votre définition d’une entreprise à impact à l’heure où elle est omniprésente ? 

 

Aujourd'hui, tout l’enjeu est de savoir si une entreprise à “impact” a une activité économique classique et tente par ailleurs d’avoir des impacts positifs, ou si l’entreprise a une activité dédiée à l’impact. Ce sont deux écoles différentes à l’origine de la confusion générale.

Les entreprises d’utilité sociale et environnementale sont, à mon avis, des entreprises à impact. C’est ma conception, car je viens du monde de l’entrepreneuriat social. 

Il faudra à un moment clarifier cette notion, car les choses sont en train de bouger, entre société à mission, raison d’être, impact, ESS… Et c’est tant mieux, car tout cela signifie que les enjeux d’alignement de la performance économique, sociale et environnementale sont désormais incontournables. A nous d’être à la hauteur et de contribuer à accélérer ces transformations !

 

  • Il pourrait y avoir prochainement un remaniement ministériel. C’est important d’avoir un ministère dédié à l’ESS, ce qui n’a pas toujours été le cas ? 

 

C’est toujours mieux d’avoir un interlocuteur désigné dans un appareil gouvernemental, un cabinet, un ministre. L’enjeu majeur est aussi d’avoir une administration puissante. Aujourd’hui l’ESS relève du Trésor, où le travail accompli est formidable pour les investissements, les contrats à impact, etc. Mais l’ESS pourrait relever de la Direction générale des entreprises, à Bercy, pour changer la donne et faire reconnaître réellement ce mode d'entreprendre et polliniser ainsi l’ensemble de l’économie.  

 

 

Christina Diego 

 

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