Evaluation de la loi ESS, entreprises à impact… Jonathan Jérémiasz dévoile ses positions sur les enjeux du moment
Les travaux d’évaluation de la loi Hamon ont débuté et, vendredi dernier, se tenait une réunion de travail sur son article 1 au Conseil supérieur de l’ESS. Hasard de calendrier, de nombreux débats autour du renouvellement de la présidence du Mouvement Impact France (MIF) agitent le secteur. L’occasion de rencontrer Jonathan Jérémiasz, actuel porte-parole du MIF dans les institutions de l’ESS. L’entrepreneur social engagé nous livre, sans filtres, sa position sur les points importants qu’il estime nécessaires d’aborder à l’occasion de l’évaluation de la loi et plus généralement, sur les enjeux actuels du secteur.
Ce vendredi 14 avril avait lieu une nouvelle réunion du groupe de travail du Conseil Supérieur de l’ESS (CSESS) chargé d'évaluer la loi Hamon. L’objectif était d'évoquer l’article 1. En amont, un conseil d’administration d’ESS France à ce sujet s’est tenu le 13 avril en présence des têtes de réseaux de l’ESS. Lors de ces deux réunions, Jonathan Jérémiasz, ancien président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) et actuel porte-parole du Mouvement Impact France (MIF) dans les institutions de l’ESS (ESS France et le CSESS), figure reconnue de l’entrepreneuriat social, a cependant porté la voix de l’UNEA (Union Nationale des Entreprises Adaptées).
- Vous avez commencé par défendre une position favorable à la révision de l’actuel article 1 de la loi Hamon. Pourquoi ?
La loi Hamon a ses limites même si c’est une grande loi de reconnaissance des acteurs de l’ESS. Je pense que pour qu’elle devienne la norme souhaitable de l’économie de demain, il est nécessaire que l’ESS soit définie de façon plus exigeante qu’elle ne l’est dans l’article 1.
Prenons par exemple l’utilité sociale qui n’apparaît que dans l’article 2 et pour ne conditionner l’appartenance à l’ESS que de sociétés commerciales de l’ESS (les associations, mutuelles et coopératives en étant dispensées). Le partage de la richesse à l’intérieur des organisations pourrait également être traité dans l’article 1 puisqu’actuellement aucune limitation des rémunérations n’est prévue pour les entreprises de l’ESS dans cet article. Il est abordé dans l’article 11, mais pour ne s’appliquer qu’aux organisations revendiquant l’agrément ESUS.
- Qu’est-ce que cela pourrait changer concrètement ?
La révision de l‘article 1 permettrait de redéfinir avec plus d'exigence le périmètre de l'économie sociale et solidaire. Nous pourrions, sur cette base, communiquer très fortement et sans complexes auprès du grand public sur l’ESS et d’autre part revendiquer des avantages significatifs à la puissance publique au motif que nous apportons une contribution particulièrement forte à l’intérêt général. Les entreprises de l’ESS auraient accès à des préférences sur les marchés publics, une fiscalité favorable, des subventions, etc.
- Vous avez finalement proposé un nouveau « label ESS » qui compenserait le fait de ne pas toucher au périmètre de la définition de l’ESS. Comment s'intégrerait-il dans la révision de la loi ?
La création de ce « label ESS » s’inscrirait effectivement comme une alternative à la révision de l'article 1 qui ne remporte pas l'adhésion de la majorité des têtes de réseaux, certaines craignant que des membres soient de fait exclus par une définition plus exigeante.
Ce label aurait l’avantage de n’exclure personne du champ de l’ESS. Il permettrait d’encourager et d’avantager les acteurs qui sont le plus engagés pour l’intérêt général, qui pourraient se prévaloir d’être labellisés auprès du grand public et des pouvoirs publics. Il s’appuierait sur six critères cumulatifs. Par exemple, un critère sur l’activité expose que toute entreprise de l’ESS devrait a minima se fixer des objectifs sociaux et environnementaux et veiller à les atteindre, quel que soit son statut, associatif, coopératif, mutualiste, etc.
Un autre aborde le sujet de la limitation des écarts de rémunérations en prenant en compte la taille de l’entreprise, alors qu’actuellement rien n’est prévu pour appartenir à l’ESS.
Ensuite, sur le partage de la gouvernance, les salariés devraient être systématiquement représentés dans l’instance décisionnelle. Enfin, un des six critères pourrait être de faire l’objet d’un contrôle externe indépendant sur les engagements sociaux ou environnementaux de la structure.
- Vous proposez également un agrément « Entreprise à impact » à la place de l’ESUS. À quoi correspondrait-il ?
Ce nouvel agrément « Entreprise à impact », qui permettrait de clarifier enfin la notion parfois illisible d’impact, pourrait prendre la place de l’actuel ESUS et augmenter son potentiel de visibilité. Cet agrément s’adresserait aux entreprises labellisées ESS qui cocheraient deux critères supplémentaires : poursuivre une utilité sociale ou environnementale à titre principal et limiter les rémunérations plus strictement, à dix Smic pour la plus haute et à 7 Smic pour la moyenne des 5 plus hautes, comme c’est déjà le cas avec l’ESUS. J’ai proposé au Mouvement Impact France ces deux positions (Label ESS et agrément impact) et malgré de nombreuses discussions en bureau, ces deux propositions n’ont pas été retenues dans la perspective des travaux d’évaluation de la loi, faute d’avoir réussi à trouver un accord notamment sur la limitation des rémunérations.
Le MIF a en effet présenté une autre position où il est question d’une limitation des écarts de rémunération de 1 à 10 dans les PME, à 15 dans les ETI et à 20 dans les grandes entreprises, ce qui aurait pour effet d’ouvrir la porte de l’agrément ESUS à des structures aux rémunérations bien au-delà de ce que notre mouvement d’entrepreneurs sociaux n’avait jamais envisagé (600 000, 700 000 euros, voire bien plus puisqu’il s’agit d’écarts et non de multiples du Smic…).
- Ce sont ces raisons qui vous ont poussé à porter ces positions au nom de l’UNEA et non comme porte-parole du MIF ?
Actuellement, je suis officiellement le porte-parole du MIF dans les instances de l’ESS. Dans le cadre du conseil d'administration d’ESS France du 13 avril, j’ai exprimé que je ne partageais pas la position du MIF. Je me suis donc exprimé au nom de l’UNEA pour présenter notre position commune que je viens de vous décrire.
- De vifs débats ont lieu en ce moment à l’occasion du renouvellement de la présidence du MIF. Vous n’avez pas encore pris la parole publiquement. Quelle est votre position ?
Je suis en désaccord profond avec le projet porté par les candidats au renouvellement de la gouvernance du Mouvement Impact France. D’abord sur la nouvelle définition qu’il tente de donner à l’entrepreneuriat social qui s’accommoderait de rémunérations astronomiques. Par ailleurs le nouveau cap du MIF, l’allusion à un « Medef » alternatif que j’ai pu lire dans la presse, sont, à mon sens, plus des effets de communication que de réels objectifs, nous n’en avons ni les troupes, encore moins l’expertise ni une vision politique commune du dialogue social…
- Pourtant, vous êtes l’ancien président du Mouves. Vous aviez déjà vécu le passage de ce mouvement en MIF ?
Le Mouves était un rassemblement d’entrepreneurs sociaux qui, lors de mon mandat de président, fut en 2020 à l’initiative d’une coalition d’acteurs à identités différentes appelée « Nous sommes demain » extérieure au Mouves. Il s’agissait alors, forts de notre identité d’entreprises pleinement au service de l’intérêt général, d’être la locomotive et d’accompagner les entreprises classiques dans leurs démarches d’engagement, par exemple les sociétés à mission, mais à aucun moment de fusionner nos identités ni nos plaidoyers, par nature très différents compte tenu de nos niveaux d’engagement n’ayant pas de commune mesure.
Ensuite le Mouves s’est transformé en Mouvement Impact France et a progressivement cédé à la tentation hégémonique en avalant cette coalition dans notre mouvement, créant un collège d’entreprises dites « en transition », laissant penser que ces dernières auraient pour objectif de devenir des entreprises sociales, ce qui est faux.
Je doute fort de la conformité du projet porté par la nouvelle liste, non seulement en référence à notre histoire et nos principes, mais aussi à nos statuts, car les futurs présidents du MIF doivent être issus du collège des entrepreneurs sociaux dont la référence est l’agrément ESUS.
Est-ce que cette liste va prospérer ? Pourra-t-elle être élue en l’état le 24 mai prochain ? Se pose finalement la question de la représentation de la grande famille des entrepreneurs sociaux dans notre Mouvement, ou en dehors. Ce qui n’est pas rien.
Christina Diego
1- “L'économie sociale et solidaire est un mode d'entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l'activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé” qui remplissent les conditions suivantes :
-Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices
-Une gouvernance démocratique
-Une gestion conforme aux principes suivants : des bénéfices majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise, des réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées (...).
2- “L'économie sociale et solidaire est composée des activités de production, de transformation, de distribution, d'échange et de consommation de biens ou de services mises en œuvre :
-Par les personnes morales de droit privé constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles (...), de fondations ou d'associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (...).
-Par les sociétés commerciales qui respectent les conditions fixées par cet article et qui recherchent une utilité sociale.
(...)