« Les ressources humaines sont un levier important pour décarboner l’entreprise » (Antoine Poincaré, AXA Climate)
Antoine Poincaré est coauteur du livre « Green RH », un guide pour accompagner les ressources humaines dans la prise en compte des enjeux environnementaux et ainsi les mettre au cœur de la révolution verte. Interview.

Antoine Poincaré, directeur de la Climate School d’AXA Climate, est coauteur du livre Green RH. Il a écrit l’ouvrage avec Olivier Meier, professeur des universités, directeur de l’observatoire Asap et visiting professor à Harvard Business School Europe, et Michel Barabel, maître de conférences à l'université Paris-Est-Créteil. Le livre prodigue des conseils aux professionnels des ressources humaines (RH) pour mettre leur fonction au cœur de la révolution verte.
- On rattache instinctivement le sujet environnemental à la direction RSE. Pourquoi les RH sont-elles essentielles dans cette transformation de l’entreprise ?
Les ressources humaines représentent un levier important pour décarboner. Sur les dix tonnes de CO2 émises chaque année par un Français, quatre le sont dans le cadre de sa vie professionnelle. C’est beaucoup. Les RH vont pouvoir faire évoluer l’alimentation des salariés, la façon dont ils se déplacent, dont on chauffe les locaux ou encore le type de matériel informatique que l’on achète. Il y a d’autres leviers activables, plus indirects, tels que la rémunération.
De plus, le changement climatique entraine de nouveaux risques pour les salariés que les RH vont devoir gérer. Que se passera-t-il, lors de vagues de chaleur, pour les personnes qui travaillent en extérieur ? Êtes-vous prêts à les accueillir dans vos locaux ? Il existe également des risques psychosociaux : l’éco-anxiété ou des conséquences psychologiques à la suite d’une catastrophe naturelle. Nous avons rencontré une personne qui ne peut pas aller travailler lorsqu’il pleut car elle a vécu deux inondations d’affilé et elle est traumatisée.
Il y a un enjeu autour de la marque employeur et de l’engagement des collaborateurs. Que faire avec un collaborateur activiste qui ne veut pas prendre l’avion ? Quelle place donner à des ateliers du type Fresque du climat ? Comment accompagne-t-on les collectifs de salariés qui émergent ?
Les RH peuvent enfin jouer un rôle prospectif sur les emplois et les compétences de demain.
- Existe-t-il des entreprises qui doivent déjà gérer, d’un point de vue RH, des risques physiques liés au changement climatique ?
Bien sûr. C’est le cas des entreprises du BTP. Depuis longtemps, le secteur est habitué à avoir des horaires de travail décalés. Cela peut aller en s’accentuant avec le changement climatique. De plus, un décret publié en juin permet aux salariés de bénéficier du chômage technique lors de périodes de canicule. Ils reçoivent toujours une grande partie de leur salaire, l’employeur est en partie indemnisé. Or, une partie du salaire dans le BTP correspond à des primes que le salarié ne touche pas lorsqu’il est au chômage technique. Il y a des négociations avec les syndicats pour faire évoluer cela : elles sont du pur ressort des ressources humaines.
Autre exemple : chez un acteur majeur de la livraison, aux États-Unis, les syndicats ont poussé pour que les 100 000 camions soient climatisés. Finalement, seuls les nouveaux camions sont climatisés, pas ceux déjà en circulation. Un livreur a perdu connaissance au volant en période de canicule. Il a failli emboutir des voitures et a finalement été hospitalisé. Il y a un risque juridique et réputationnel que l’entreprise doit prendre en considération.
Soyons honnêtes, les entreprises sont au tout début de ce processus."
- Globalement, les entreprises se sont-elles engagées dans cette révolution verte des RH ?
Soyons honnêtes, les entreprises sont au tout début de ce processus. La fonction RH a bougé plus tard que la fonction achat ou finance. Avec l’informatique, ce sont les postes qui en ce moment cherchent par quel bout prendre le problème. Pour les ressources humaines, la difficulté est qu’il existe une variété d’enjeux, et que ceux-ci peuvent avoir une importance pour le business.
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- Existe-t-il une entreprise modèle en matière de green RH ?
Il n’y en a pas. Dans le livre, il n’y a pas une entreprise qui revient régulièrement en exemple, mais plutôt une multitude d’initiatives inspirantes venant d’acteurs très différents.
- J’imagine que la première chose à faire pour une personne qui travaille dans les ressources humaines, c’est de se former elle-même à ces sujets. Comment débuter ce cheminement ?
Il y a ce livre qui est fait pour ça. De plus, chez Axa Climate, nous proposons la formation « Green RH ». Elle dure une vingtaine d’heures. À la fin de la formation, les participants sortent avec une feuille de route appliquée à leurs métiers. C’est une formation qui permet de mettre en mouvement : le participant sort avec des mesures applicables dans les 18 mois qui suivent, adaptées à la maturité de l’entreprise.
Globalement, les RH n’ont pas besoin de devenir des experts en environnement : tout ce qu’on leur propose de faire est dans le périmètre d’action classique des RH. Le travail du RH est depuis toujours de protéger les salariés, de défendre la marque employeur et d’anticiper les compétences de demain.
À un moment ou à un autre, il va y avoir un besoin d'expertise externe."
- La tâche qui vise à anticiper les métiers de demain parait plus complexe pour les RH.
Oui, surtout si vous ne savez pas comment l’entreprise souhaite repenser son activité pour répondre aux enjeux environnementaux. C'est une réflexion que doit avoir en premier lieu la direction générale. Les RH arrivent ensuite.
Les entreprises ont dû passer par le même type de réflexion il y a dix ans au moment de la transformation digitale. On pouvait alors se demandait comment elles allaient s’y prendre. Elles ont eu recours à des cabinets d’experts, créés pour accompagner cette transformation. À un moment ou à un autre, il va se passer la même chose avec un besoin d’expertise externe.
- Dans un des chapitres, vous expliquez que le management à l’ancienne, vertical, ne permet pas de répondre au défi du verdissement de la fonction RH. Dès lors, quel type de management faut-il mettre en place pour pouvoir engager cette révolution ?
La transition et l’adaptation nécessitent davantage de décentralisation, de décisions au plus près du terrain. Il s’agit donc d’une occasion pour les entreprises de réinventer la façon dont le travail est organisé. Par exemple, on peut faire confiance aux commerciaux sur le terrain pour comprendre les besoins des clients en matière de décarbonation. Cette tendance était déjà à l’œuvre dans les entreprises avant l’arrivée des considérations environnementales.
Pour les RH, il y a une nécessité d’identifier les « écoleaders »"
- Peut-on estimer que les engagements et les compétences environnementales sont déjà présents chez les salariés et que le rôle des RH est de les accompagner plutôt que d'impulser ?
On peut le voir comme cela. Pourtant, au moment de la transformation digitale, cela n’a pas été le cas : des gens pratiquant le digital dans leur vie personnelle n'avaient pas forcément mis ces compétences au profit de l’entreprise.
Concernant la transformation environnementale, certains salariés ont effectivement une conviction environnementale très forte, forgée dans leur vie personnelle. Ils peuvent mettre ces convictions et compétences au profit de l’entreprise. D’autant plus s’ils travaillent dans l’entreprise depuis de nombreuses années.
Pour les RH, il y a une nécessité d’identifier les « écoleaders », ceux qui ont compris les enjeux environnementaux et qui sauront conduire l'entreprise dans ce monde de demain.
- Cela fait penser aux Collectifs, ces salariés qui se réunissent au sein des entreprises autour de l’écologie. Avec ces collectifs, il y a cette idée que les choses se font au niveau des salariés et que les RH sont là pour appuyer le mouvement.
Pour les RH, ces collectifs peuvent être perçus comme une opportunité bien sûr, mais aussi parfois comme une source de difficultés avec un côté « empêcheurs de tourner en rond ». Ce sont souvent des personnes engagées, qui vont prendre la parole en externe. La recommandation faite aux RH est de s’en emparer, d’en faire des interlocuteurs pour comprendre qui sont ces gens et pour les mettre en contact avec la direction RSE. C’est très important de créer un espace de dialogue, qui sera notamment utile pour les moments où ça frotte entre des collaborateurs très engagés et les personnes en charge de l’orientation stratégique.
- Est-ce que, selon vous, l’enjeu de formation et d’acquisition de compétences en matière environnementale est l’enjeu majeur en matière de green RH ?
J’ai tendance à le voir comme un enjeu très important. Plus que l’acquisition de compétences techniques, il y a un volet important qui est l’acculturation, l’acquisition d’une culture environnementale : comprendre par exemple ce qui ne marche pas dans notre système, comprendre le lien entre climat, biodiversité et ressources.
Si une entreprise entend réinventer son activité dans les années qui viennent pour répondre aux enjeux environnementaux, il est important auparavant d’acculturer toutes les équipes pour les embarquer dans le projet. Il est important de créer un terreau fertile au changement pour qu’émerge quelque chose, ou simplement rendre plus acceptable le changement quand il sera décidé.
Il vaut mieux embarquer les personnes très engagées pour que cela crée un effet d’entrainement."
- Certains salariés peuvent avoir le sentiment que rendre son métier plus vert est chronophage. Comment fait-on pour convaincre le salarié d’appliquer ce qu’il a appris au sein de sa formation ?
Dans une entreprise, il y a des gens très engagés et d’autres qui ne le sont pas beaucoup. Il vaut mieux embarquer les personnes très engagées pour que cela crée un effet d’entrainement, plutôt que d’essayer directement d’embarquer tout le monde. Des gens prêts à passer du temps pour rendre leurs métiers plus écolos, il y en a. Travaillons avec eux ! Il y a un cercle de personnes proches, autour de ces salariés très engagés, qui vont les observer et peut-être auront envie de faire des choses.
- Comment fait-on pour intégrer l’environnement dans sa marque employeur ?
Dans le livre, on propose une méthodologie avec sept étapes. Mais l’essentiel, c’est d’être capable d'avoir un discours modeste sur ce que l’entreprise fait bien ou non en matière d’environnement. Or, ce n’est pas le fort des marques employeur d’être modeste.
Il est essentiel de former ses recruteurs et recruteuses à dire que sur tel sujet, l’entreprise est très forte, mais que sur tel autre sujet, elle a plus de mal et qu’elle aimerait bien avancer plus vite. C’est un discours qui permet d’être très audible et que le candidat peut comprendre comme un appel du type « viens nous aider à faire avancer les choses ».
- Est-ce vraiment important d’intégrer l’écologie à la marque employeur ou finalement un candidat rejoint toujours une entreprise pour les mêmes raisons : le salaire et la réputation de l’entreprise ?
Les recruteurs expliquent que cette considération par les candidats des enjeux environnementaux existe. Mais à la fin, il y a toujours d’autres sujets qui priment : le salaire, le télétravail, la proximité avec son domicile. Je ne dirais pas que c’est aujourd’hui un facteur absolument décisif.
En revanche, il est intéressant de regarder ce qu’il s’est passé récemment dans certaines grandes écoles. Un PDG d’entreprise pétrochimique a donné un discours à Polytechnique, la moitié de l’amphithéâtre a tourné le dos à l’écran. À HEC, il y a eu des des envahissements de stands lors de foires en guise de protestation contre la présence d’entreprises. En voyant cela, nous avons du mal à nous dire que ce n’est rien. C’est compliqué de balayer cela d’un revers de main.
- Quelles sont les pratiques RH innovantes qui vous ont marquées pour rédiger ce livre ?
Veolia a passé des accords avec des cafés autour de ses lieux de travaux pour qu’en cas de grande chaleur, les collaborateurs puissent se reposer à l’ombre et avoir accès à un verre d’eau gratuitement.
Accor est souvent cité dans le livre. L’entreprise a fait quelque chose de très ambitieux concernant la formation des collaborateurs. Elle a mis en place six heures de formation obligatoire pour les 5 500 collaborateurs des différents sièges. C’est davantage que beaucoup d’entreprises.
- Quel rôle les syndicats peuvent-ils jouer dans la transformation écologique ?
Un rôle majeur. Quand on parle d’adaptation au changement climatique, on parle de souffrance au travail et de sécurité. Les syndicats sont les interlocuteurs dédiés sur ces sujets.
Historiquement, certains syndicalistes étaient opposés à des mesures écologiques perçues comme un frein à l’enrichissement des ouvriers, ou au développement de la production. Cela est en train de se résoudre. L’émergence du Printemps écologique, un syndicat écologique, est intéressante. Soit il intervient en direct, soit il forme des référents en matière d’écologie dans les syndicats classiques. `
Mon conseil est de se lancer sur les sujets sur lesquels vous êtes légitime en tant que RH."
- Imaginons que je suis directeur RH et que mon entreprise n’est pas particulièrement engagée en matière de green RH. Que faire ? Je me lance de mon côté avec de petites mesures ?
Mon conseil est de se lancer sur les sujets sur lesquels vous êtes légitime en tant que RH. Investissez-vous sur un sujet où on ne pourra pas vous dire que ce n’est pas votre job. Vous pouvez ensuite aller chercher des collaborateurs que cela intéresse. C’est mieux que de tenter une stratégie d’arrosage à 360 degrés où on fait un peu de tout mais jamais en profondeur.
Par exemple, concernant la sécurité, vous pouvez trouver un directeur de site sensible à ces enjeux. Ainsi, vous pouvez faire de ce site un site pilote.
- Ce livre est-il adapté aux TPE et PME ?
Il y a des choses à prendre pour TPE et PME bien sûr. Mais soyons honnêtes aujourd’hui ceux qui avancent sur le sujet transformation écologique de la fonction RH sont plutôt les grandes entreprises. Il est évident que plus l’entreprise est petite, plus c’est compliqué d’avoir une stratégie sur le long terme en la matière, raison de plus pour les aider !
Propos recueillis par Théo Nepipvoda