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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 12 décembre 2024 - 15:02 - Mise à jour le 13 décembre 2024 - 12:55
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La Coordination Générosité [7] : faire vivre et renforcer la philanthropie. Interview de Marion Lelouvier, présidente du CFF

Les fondations et les fonds de dotation sont des acteurs importants du secteur de la philanthropie, aux côtés des associations, bénévoles et donateurs particuliers ou d’entreprises. En croissance constante depuis trente ans, ce secteur s’est organisé afin d’agir efficacement ou de procurer des soutiens fiables pour faire face aux défis des acteurs qui agissent chaque jour partout sur le terrain au plus près des besoins. Membre de la coalition générosité, le Centre Français des Fonds et Fondations (CFF) participe à la représentation et à la professionnalisation de ses membres. Rencontre avec sa présidente Marion Lelouvier.

 

La Coordination Générosité

Il existe des alliances sur des thèmes ou projets spécifiques dont nous avons traité dans le blog, mais il s’est aussi mis en place une structuration des acteurs de la philanthropie pour assurer une bonne gouvernance, une fiabilité et favoriser le développement des activités du secteur non lucratif. Leur rôle est aussi de défendre les acquis des dernières années, la liberté associative et pour ce faire être interlocuteurs des pouvoirs publics. C‘est la Coordination Générosité.

Elle repose sur :

Quatre entités élues par leurs membres :

 

Deux organismes de contrôle : 

 

Deux organismes qui ont pour mission de professionnaliser les pratiques professionnelles :

  • - l’IDAF pour les dirigeants des associations et fondations ; 
  • - l’AFF pour les fundraisers.

 

À noter qu’aux côtés du CFF, on trouve Un Esprit de Famille, l'ADMICAL, et Les Entreprises pour la Cité.

 

Cette rencontre est la septième d’une série qui permettra de comprendre cette structuration et les acteurs qui l’animent.

 

  • Marion Lelouvier, vous êtes présidente depuis deux ans du Centre français des Fonds et Fondations, pouvez-vous nous présenter cette organisation ? 

 

Marion Lelouvier : Le Centre Français des Fonds et Fondations (CFF) a été fondé en 2002 par Francis Charhon (alors directeur général de la Fondation de France), avec six autres fondations, en s’inspirant de modèles étrangers. À l’origine, l’idée était de rassembler les fondations pour leur permettre de développer une culture partagée, et répondre aux enjeux sociétaux et économiques croissants. À l’époque, peu de gens en France savaient réellement ce qu’était une fondation et le rôle qu’elle pouvait jouer dans la société. Le CFF a permis de structurer ce secteur, de porter une parole collective et de sensibiliser à l’importance de la philanthropie. Aujourd'hui, nous travaillons avec plus de 500 membres dans toute la France, regroupant les 8 statuts de fondations. Nos missions sont multiples : nous facilitons la mise en réseau et le partage d'expertise entre nos membres, et nous jouons un rôle de plaidoyer pour promouvoir le secteur auprès des décideurs publics et défendre ses intérêts qui servent l’intérêt général. 

 

Une organisation bien structurée 

  • Comment le CFF s’est-il structuré pour mener à bien ses missions ? 

 

Le CFF est structuré pour représenter toute la diversité du secteur en France, avec un conseil d’administration de 15 fondations et fonds de dotation. Cette pluralité issue d’une élection démocratique permet au CFF d’avoir une vision globale et représentative des besoins et priorités. Pour encourager l’échange et l’apprentissage, nous avons développé deux principaux types de collaboration : les cercles thématiques et les coalitions.  

Les cercles thématiques rassemblent les fondations autour de sujets spécifiques, comme les fragilités, l’éducation, ou l’impact. Ces groupes sont des espaces de partage de connaissances et d’expériences, où les membres peuvent échanger sur leurs défis communs et les meilleures pratiques pour les relever, avec aussi des invités externes. Ils offrent une opportunité précieuse d’apprentissage mutuel. 

Les coalitions permettent aux fondations ayant des priorités stratégiques similaires de s’engager dans des alliances plus opérationnelles encore, sur le plus long terme. Un exemple notable est la Coalition française des Fondations pour le Climat (CffC), regroupant toute fondation, dont la mission est directement écologique ou non, pour lutter contre le changement climatique. Cette coalition dépasse le simple partage de savoirs, en s’engageant dans des actions concrètes. D’autres coalitions sont en cours en faveur de la santé publique et de la philanthropie féministe, pouvant inclure le cofinancement de projets. 

Ces cercles et coalitions sont complétés par un réseau de correspondants régionaux, permettant d’aligner les initiatives nationales et locales, pour les adhérents et aussi les non-adhérents du CFF.  

 

Déclinaisons locales et mise en place d’un réseau de partenaires 

 

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur le fonctionnement des régions ? 

 

Nos correspondants régionaux bénévoles jouent un rôle central dans l’animation de six groupes locaux, en organisant des ateliers, des rencontres et des forums pour permettre aux fondations de chaque région de se retrouver, échanger et agir ensemble. Cette approche nous permet de mieux comprendre les dynamiques locales, d’identifier des spécificités régionales et d’engager les acteurs dans des actions concrètes qui peuvent parfois être très différentes d’une région à l’autre. Par exemple, la Bretagne est motrice sur l’environnement.  

 

  • Quels sont les partenaires du CFF ? 

 

Nos partenaires jouent un rôle clé dans notre action pour compléter la chaîne de valeur, maximiser l’impact de nos actions et élargir notre champ d’influence. Bien sûr, nous participons à la Coalition générosité. Nous collaborons aussi avec des institutions publiques, des entreprises, des associations, et des organisations internationales. Nos partenariats nombreux et variés reposent aussi sur nos membres, par exemple la Fondation RAJA, sur les questions d’égalité et de justice sociale, et la Fondation Pierre Fabre, en faveur de la santé publique et de la recherche dans le Sud global. Nous travaillons également avec des institutions comme le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), où le CFF dispose d’un siège dans le groupe associations. Ces collaborations nous permettent de porter la voix des fondations auprès des décideurs et du grand public, et de participer activement aux discussions sur les politiques publiques qui concernent notre secteur. Au-delà de la France, nous entretenons des liens pour échanger des bonnes pratiques et renforcer le rayonnement de la philanthropie française sur la scène internationale. 

 

Action internationale 

  • Pouvez-vous nous parler de la dimension internationale du CFF ? 

 

La philanthropie est un domaine de plus en plus globalisé et le CFF s'efforce de contribuer activement à cet écosystème international. Nous sommes membres de Philea (Philanthropy Europe Association), le réseau européen qui rassemble les associations de fonds et fondations du continent. Grâce à la présence d'Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation de France, au conseil d'administration de Philea, nous participons activement aux discussions paneuropéennes et défendons les intérêts des fondations françaises. Philea est une plateforme essentielle pour échanger sur les bonnes pratiques et aborder des défis communs au niveau européen, ou similaires d’un pays à l’autre. 

Nicolas Mitton, directeur des affaires juridiques et publiques du CFF, nous représente au sein de l’Advisory Committee de Philea. Il travaille notamment sur les fondations actionnaires et contribue aux réflexions stratégiques du réseau.  

Nous collaborons aussi avec des réseaux européens spécifiques comme Philanthropy for Climate, pour mobiliser des ressources et des stratégies en réponse aux défis climatiques. Cette initiative s’inscrit dans le prolongement de la CFFC évoquée précédemment. Enfin, nous sommes partenaire du réseau WING au niveau mondial. 

 

  • Les fondations sont actrices de l’intérêt général, qu’est ce qui les distingue des autres acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) ? 

 

L’intérêt général est défini par le code général des impôts qui octroie une déduction fiscale. Pour nous, c’est plus largement l’engagement au service d’une société plus juste et durable, comme inscrit dans la raison d’être du CFF, au-delà des intérêts individuels ou commerciaux. Comme les associations, les fondations agissent sans but lucratif. Contrairement à d'autres entités de l’ESS qui peuvent davantage intervenir sur le marché et avoir des objets à lucrativité limitée, les fondations se distinguent par leur seul objectif d’un bénéfice pour la société et ou l’environnement. Elles reposent sur une gouvernance indépendante, les fondateurs ne perçoivent aucun dividende sur leurs apports monétaires, les dons sont sans contrepartie. Les fondations réinvestissent leurs excédents dans leurs missions sociales, soutenant la durabilité des structures qu'elles financent. Cette spécificité ouvre l'accès à des avantages fiscaux et à des soutiens publics, essentiels pour prendre des risques, générer de l’innovation sociale et mener des actions de long terme. La non-lucrativité doit être préservée pour garder la spécificité des associations et fondations et leur permettre d’agir sans mise en concurrence. Les liens avec la société civile et le monde économique, notamment ceux de l’ESS, doivent encore se développer. 

 

Demain le CFF 

  • Depuis votre prise de fonction, quelles ont été vos principales priorités pour le CFF et vos projets pour renforcer le secteur des fonds et fondations en France ? 

 

Dès le début de mon mandat, j'ai souhaité renforcer la visibilité et l'impact des fonds et fondations en France au plus près des acteurs et des territoires. Nous avons travaillé à coconstruire une feuille de route stratégique pour la période 2023-2028, en collaboration étroite avec nos adhérents et parties prenantes. Cette stratégie vise à promouvoir une culture de coopération et de nouvelles alliances, à encourager l'unité et la solidarité du secteur, et à porter plus loin encore la voix des acteurs philanthropiques. J’ai souhaité également réaffirmer la rigueur avec laquelle les fondations et fonds de dotation interviennent.  

Aussi, nous avons mis l'accent sur des formations certifiées pour poursuivre la montée en compétence, ainsi que sur la production de livrables communs pour réfléchir et partager nos pratiques professionnelles, dans un dialogue régulier avec la Cour des Comptes, le Conseil d’Etat et les représentants ministériels. 

D’autres projets sont en cours : 

  1. Tout d'abord, nous avons mis en place un annuaire inédit, afin de permettre aux porteurs de projet et à toute personne intéressée d’identifier les fonds et fondations, de disposer de données précises et actualisées sur le secteur. Au CFF, nous pouvons ainsi mieux comprendre ses dynamiques et orienter nos actions par région et par domaine d’intervention. Cette cartographie affiche en creux les « déserts philanthropiques » où l’action des fondations est encore faible, permettant d'encourager le cas échéant les fondations à s'implanter dans ces zones.   
  2. Nous souhaitons développer des partenariats avec d'autres acteurs de l'ESS et du monde économique pour promouvoir des initiatives communes au service de l'intérêt général. Au niveau national et bien sûr, mais nous envisageons de renforcer notre présence territoriale en créant d’autres antennes régionales du CFF, ou articuler cette action locale avec les autres membres de la Coalition générosité, afin d'être au plus près des réalités locales et de mieux accompagner nos adhérents sur le terrain.   
  3. Nous continuerons d’être attentifs au renforcement de la transparence et de la gouvernance des fonds et fondations, en lien avec les nouvelles exigences réglementaires, dans un principe de proportionnalité auprès des tutelles ou même des mécènes. Par exemple, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), incite les entreprises à attendre des fondations des standards élevés en matière de reporting, lourdes voire inadaptées pour certaines fondations. Nous avons donc mis en place des sessions d’information et d’accompagnement pour aider nos membres.  
  4. En support, nous avons refondu le site internet et nos réseaux sociaux comme une plateforme numérique centralisant nos ressources, afin de faciliter l’accès de nos membres et l’ensemble des personnes intéressées par le secteur à des documents, études, guides et formations. Cela représente un enjeu majeur, car nous souhaitons moderniser et digitaliser notre approche face aux besoins sociétaux actuels. 

 

  • Comment les entreprises peuvent-elles s'engager davantage dans la philanthropie et le mécénat ? 

 

Les entreprises ont un rôle crucial à jouer dans la philanthropie soit par des financements directs soit par la création de fondations ou des fonds de dotation pour structurer leurs engagements en faveur de l'intérêt général. Le fait de disposer d’une structure philanthropique pose une barrière entre les sphères lucratives et non-lucratives et leur permet de mener des actions cohérentes et pérennes, en lien avec leurs valeurs. Les entreprises peuvent aussi encourager l'engagement de leurs collaborateurs, en mettant en place du mécénat de compétences, en nature ou en favorisant le bénévolat. Il est également important pour les entreprises de communiquer sur leurs actions philanthropiques, afin de sensibiliser leurs parties prenantes et diffuser une culture de la générosité. 

 

Faire progresser la philanthropie 

 

  • Comment percevez-vous l'évolution de la philanthropie en France ces dernières années ? 

 

La philanthropie en France a connu une évolution notable avec une professionnalisation accrue et une diversification des modèles d'engagement. Les fondations et fonds de dotation jouent un rôle de plus en plus central dans le financement, notamment dans des domaines tels que la recherche médicale, l'éducation ou l'insertion. Cependant, des défis subsistent, notamment en matière de financement et de reconnaissance. Il est essentiel de continuer à sensibiliser le grand public et les décideurs politiques à l'importance de la philanthropie et de ses contributions à la société. 

La tendance actuelle de réduction des subventions publiques et le passage à des commandes publiques – via appels d’offres et marchés publics – représente une difficulté pour les gestionnaires d’établissements sanitaires, médico-sociaux, d’éducation ou de culture. Elle favorise souvent les grandes structures, qui ont le plus de capacités de répondre à ces exigences administratives. Cela complique l’accès au financement pour les petites et moyennes organisations, qui manquent des ressources humaines pour se conformer à ces procédures exigeantes. Les fondations distributives deviennent donc de plus en plus indispensables pour combler ce manque de soutien, en permettant à ces structures de maintenir leur mission sociale sans compromettre leur modèle non lucratif. Ce lien repose de plus en plus sur la confiance bailleur-bénéficiaire, sur l’apprentissage mutuel qui nourrit les causes et l’innovation sociale en plus de l’innovation technologique. 

La protection du cadre législatif fiscal, certaines simplifications et une coopération renforcée avec les pouvoirs publics pourraient s’avérer nécessaires, afin de créer un environnement favorable aux petites et moyennes organisations de l’ESS, sans les exposer aux pressions de rentabilité du marché. C’est pourquoi avec les autres membres de la Coalition générosité, nous appelons à une conférence et à un groupe paritaire autour de la générosité et de l’engagement. 

 

  • Le projet de loi de finances pour 2025 suscite des inquiétudes parmi les acteurs de l'ESS. Quels sont les impacts potentiels pour les fonds et fondations ? 

 

Effectivement, le projet de budget 2025 présente des menaces significatives pour notre secteur. Les fondations opératrices pourraient être affectées par les réductions des budgets consacrés à la solidarité, notamment dans les secteurs sanitaire et médico-social. De plus, des amendements visant à réduire les avantages fiscaux liés aux dons, tant pour les particuliers que pour les entreprises, pourraient entraîner une baisse de la générosité, ce qui aurait un impact direct sur le financement des actions d'intérêt général. Nous sommes fortement mobilisés pour sensibiliser les parlementaires et les responsables politiques à ces enjeux, en espérant que nos alertes permettront d'infléchir les orientations actuelles. Enfin, une nouvelle disposition votée à l’assemblée s’inscrit dans la suite du contrat d’engagement républicain permettant, dans certaines circonstances, dont le trouble à l’ordre public, de supprimer la réduction fiscale par simple mesure administrative. Cela est une véritable atteinte à la liberté associative prévue par la loi de 1901.  

Face aux défis actuels, nous intensifions nos efforts de communication et de sensibilisation, en collaboration avec d'autres acteurs de l'ESS, dont le Mouvement associatif en premier lieu, pour faire entendre la voix des acteurs de l’intérêt général et promouvoir leur rôle essentiel dans la société. 

 

Coalition générosité 

  • Vous êtes membre de la Coalition générosité, quel est pour vous le rôle de celle-ci ?  

 

Le rôle de la Coalition générosité est important. Après une phase de maturation, les liens entre organisations se sont progressivement resserrés, de façon que la représentation au niveau gouvernemental vienne avec des voix convergentes. Il y a eu l’étape importante d’un plaidoyer commun pour l'élection présidentielle en 2022, dont le livrable est largement plébiscité. La vie de cette coalition passe par des réunions bilatérales ou multilatérales, soit sur des problématiques aiguës, soit pour s'informer mutuellement. 

Nous avons lancé un travail avec la FONDA sur des objectifs, missions, valeurs, visions, pour homogénéiser encore la manière dont on travaille ensemble, pour mieux articuler nos propositions de valeurs les uns avec les autres et pour positionner de manière plus claire et explicite le rôle de cette coalition.  

Chacune des organisations a son positionnement, sa stratégie, mais ici on est vraiment dans une logique de complémentarité, de délégation, de subsidiarité, entre des organisations qui peuvent être représentatives d'un statut, membres fondateurs d’ESS France, comme le Centre français des Fonds et Fondations et le Mouvement associatif, et d’autres assises sur des thématiques notamment de développement du don, comme l’ADMICAL et le syndicat France Générosité. C’est important d’accéder à leurs expertises comme à celles d’un Esprit de famille, de l’Association française des fundraisers, de l’IDAF, du Don en confiance, d'IDEAS, et des Entreprises pour la cité, décrites dans votre blog. 

 

Propos recueillis par Francis Charhon

 

 


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