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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 10 décembre 2023 - 18:01 - Mise à jour le 12 septembre 2024 - 18:41
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La Coordination Générosité [2] : la représentation des collecteurs de dons. Interview de Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif

Découvrez l’interview de Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, qui présente les grands enjeux de la vie associative et le rôle majeur de ce secteur dans sa capacité à apporter des réponses souvent innovantes face à des défis cruciaux. Elle montre aussi l’incompréhension que peuvent avoir des décideurs publics face à un modèle non lucratif porté par l’engagement de millions d’hommes et femmes qui agissent pour rendre la société plus vivable.

Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif. Crédit photo : DR.
Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif. Crédit photo : DR.
La Coordination Générosité

Il existe des alliances sur des thèmes ou projets spécifiques dont nous avons traité certaines dans le blog, mais il s’est aussi mis en place une structuration des acteurs de la philanthropie pour assurer une bonne gouvernance, une fiabilité et favoriser le développement des activités du secteur non lucratif. Leur rôle est aussi de défendre les acquis des dernières années, la liberté associative et pour ce faire être interlocuteurs des pourvoir publics. C‘est la Coordination Générosité.

Elle repose sur :

Quatre entités élues par leurs membres :

 

Deux organismes de contrôle : 

 

Deux organismes qui ont pour mission de professionnaliser les pratiques professionnelles :

  • - l’IDAF pour les dirigeants des associations et fondations
  • - l’AFF pour les fundraisers.

 

À noter qu’aux côtés du CFF, on trouve Un Esprit de Famille, et d’ADMICAL Les Entreprises pour la Cité.

 

Cette rencontre est la deuxième d’une série qui permettra de comprendre cette structuration et les acteurs qui l’animent.


À lire aussi : La Coordination Générosité [1] : la représentation des collecteurs de dons. Interview de Pierre Siquier, président de France générosités 


Une puissante représentation des associations pour des projets collectifs

  • Claire Thoury, vous êtes la présidente du Mouvement associatif. Que représente-t-il, quel en est sa composition ? Quelles sont ses activités ?

 

Le Mouvement associatif est une entité centrale dans le paysage des associations en France depuis sa création en 1992. Initialement association de fait, elle rassemblait diverses coordinations sectorielles engagées dans des domaines variés tels que le sport, la solidarité internationale, la famille, le tourisme social et l'éducation populaire. En 1999, le Mouvement s'est constitué en association loi 1901, formalisant ainsi son statut juridique. En 2023, le Mouvement se positionne comme le représentant principal des associations en France, regroupant via ses membres environ une association sur deux. Avec un paysage associatif riche d'environ 1,4 million d'entités, dont la moitié sont fédérées par secteur, thématique ou territoire, le Mouvement a pour mission de représenter cette diversité, reflétant la vaste étendue et le dynamisme du secteur associatif français.

 

  • Prenez-vous également en compte la représentation des bénévoles ?

 

Nous représentons des organisations diverses. Certaines ne sont composés que de bénévoles, d’autres sont composés de salariés et de bénévoles. Pour être plus précise, il y a un peu plus de 150 000 associations qui sont employeuses, cela signifie que l’écrasante majorité du monde associatif n’est composée que de bénévoles qui sont près de vingt millions. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, nous sommes bien dans une société très engagée. 

 

  • Ces millions de personnes engagées sur les sujets les plus variés représentent une vision de la société, une vision collaborative, une vision de rapprochement

 

Les associations naissent de la volonté commune d'au moins deux personnes préoccupées par les questions qui les concernent au quotidien et sont prêtes à se mobiliser pour initier un projet, soutenir une cause ou dynamiser un territoire. Cela représente la genèse de l'action collective, où des idées naissent et des engagements se forment. Ce sont les acteurs du premier kilomètre. Cette dynamique traduit un engagement profond dans le tissu social, où chaque action, chaque projet porte en lui le potentiel de changer la société.

Le défi majeur, pour les associations et autres corps intermédiaires, est de transformer une société objectivement engagée, caractérisée par des mobilisations pour des actions spécifiques, en une société politisée. Cela implique de lier les causes individuelles à un projet de société plus large et cohérent. Le Mouvement associatif, à travers son engagement dans des coalitions et réseaux variés comme le Pacte du Pouvoir de Vivre, ESS France, vise à transcender les objectifs de chacun pour contribuer à une vision collective.

En se rassemblant, les associations ne défendent pas uniquement leurs intérêts propres. Elles promeuvent un modèle de société fondé sur des principes de démocratie, de gouvernance partagée, de non-lucrativité, d'engagement civique, de lien social, et d'une économie collaborative. Ce projet de société, porté par le Mouvement associatif et d'autres organisations, est un témoignage de la conviction que les enjeux sociétaux dépassent souvent le cadre d'une seule organisation.

L’association : un rôle essentiel dans la société

  • Dans l’activité que vous menez, il y a donc deux types d’activités : il y a la représentation des secteurs et la défense globale de la vie associative et son rôle dans la société française.

 

La vie associative joue un rôle essentiel dans notre société, reconnue à divers échelons pour sa valeur ajoutée. La période de confinement a mis en lumière une réalité intéressante : de nombreuses familles et individus, confrontés à l'annulation d'activités associatives auxquelles ils étaient inscrits, ont sollicité le remboursement de leurs cotisations. Cette réaction soulève un point crucial – il semble exister une incompréhension de la nature même du modèle associatif. Participer à une association dépasse la simple transaction de services ; c'est un engagement, un choix de contribuer à une cause commune. Cela nous interpelle sur la nécessité de mieux communiquer l'essence de l'engagement associatif et de valoriser son importance notamment en matière de cohésion sociale. Notre rôle ne se limite pas à défendre les intérêts sectoriels, mais plutôt à renforcer la structure même de ces secteurs. Nous nous employons à représenter et promouvoir la richesse et la diversité du monde associatif, tout en travaillant à des outils pour les associations et en facilitant les échanges entre les organisations. 

 

  • On voit qu’il y a des difficultés dans le monde associatif : recrutement des bénévoles, baisse de la générosité, réduction de subventions. Le public et le Gouvernement se rendent-ils compte du rôle du monde associatif en France ?

 

La prise de conscience de notre rôle et de notre impact est souvent méconnue, tant par les autres que par nous-mêmes, et pourtant, c'est au cœur de notre mission. Mon appel à évoluer d'une société engagée vers une société politisée ne concerne pas l'affiliation partisane. Il s'agit plutôt de forger un projet de société où le modèle associatif joue un rôle clé, car nous sommes persuadés de son potentiel transformateur. Ce n'est qu'un aspect de notre engagement, mais il est crucial. Il est très important de mettre encore plus en lumière nos actions et nos valeurs et de les revendiquer avec fierté en affirmant résolument notre position.

L’action associative entre utilité et rejet

  • Par rapport au Gouvernement, il y a une forme d’ambiguïté : des dispositifs sont créés pour développer les associations, la générosité. En même temps, on se trouve bloqué par des questions administratives, par une réduction de la liberté associative et parfois par des mesures hors-sol prises par des députés. Avez-vous l’objectif de travailler pour sortir de cette ambiguïté ? Ne pensez-vous pas qu’il serait nécessaire d’avoir une reconnaissance du secteur associatif comme un acteurs essentiel de la société, comme l’agriculture, l’artisanat et autres… que le secteur soit considéré comme un tout ? 

 

La comparaison n'est pas toujours la clé pour comprendre notre rôle social. Il est crucial de s'interroger sur les implications de nos paroles. Certes, la reconnaissance de notre solidarité, quand on nous dit « Sans vous, pendant la crise sanitaire, on n’aurait pas tenu... », est gratifiante. Mais elle s'accompagne aussi d'une crainte, voire d'un rejet de notre rôle politique en tant qu'associations. Ce phénomène traduit une méconnaissance alarmante des pouvoirs publics de notre essence et notre fonction. Les associations sont fondamentalement des espaces politiques, des lieux où se construisent des aspérités, des espaces souvent militants animés par des valeurs fortes. 

La tendance actuelle de restriction des libertés associatives est particulièrement préoccupante. Le Contrat d'engagement républicain contre lequel nous nous battons illustre très clairement cette inclination restrictive. Nous nous retrouvons face à une boîte de Pandore, qui expose une incompréhension profonde de notre rôle au sein de la République et de notre contribution à la démocratie. Ignorer le rôle vital des associations, c'est méconnaître leur importance pour une coexistence harmonieuse et pour une démocratie riche et dynamique. Les associations, en tant que corps intermédiaires, doivent exprimer la réalité, avec ses aspérités, et ne pas craindre le conflit constructif. Les contradictions qu'elles soulèvent sont nécessaires et saines pour notre société. Un engagement associatif n'est pas un long fleuve tranquille ; il peut être source de tensions, mais celles-ci sont essentielles pour avancer et renforcer notre démocratie. Il est donc essentiel de réaffirmer que nous ne sommes pas au service des pouvoirs publics. Notre mission n'est pas de les satisfaire.

L’association un modèle puissant à défendre

  • Vous dites que les associations sont les acteurs du premier kilomètre. Ne sont-elles pas aussi celles du  dernier kilomètre ? En effet, on voit bien que quand l’État crée un dispositif, il n’a plus les moyens de le mettre en place au niveau du terrain. Il ne répond pas véritablement aux besoins différents à Niort ou à Marseille, car il est trop loin et fait des choses très verticales. Cette question du dernier kilomètre n’est-elle pas finalement la question de la cohésion sociale ?

 

Ce sont les deux. La puissance du modèle associatif se manifeste pleinement à travers son efficacité au « premier kilomètre » et au « dernier kilomètre ». Au commencement, le « premier kilomètre » capture avec acuité les besoins réels pour forger des solutions personnalisées, fruit de l'implication des personnes concernées. C'est un point essentiel, car il témoigne de la capacité à définir la réalité des besoins et à y répondre efficacement. La force du modèle associatif se déploie également au « dernier kilomètre », atteignant des territoires abandonnés par le service public ou considérés comme non rentables par le privé lucratif, en s'appuyant sur une philosophie non lucrative.

Nous devons donc être fiers de cette approche qui transcende la recherche de profit. C'est une démarche, surtout dans le domaine de l'aide à domicile, où l'engagement associatif est vital pour contrer l'isolement dans les zones oubliées.

C'est la raison pour laquelle il faut défendre avec vigueur ce modèle. Même si les associations opèrent parfois dans des champs ou des secteurs similaires aux entreprises lucratives, elles ne poursuivent jamais l'enrichissement personnel, ça ne peut pas être le but  et ça change tout. Ce n'est pas la logique économique qui prime, mais une logique sociale, ce qui rend le modèle à la fois puissant et digne de notre fierté, même face aux défis actuels tels que l'inflation et les crises économiques qui obligent les associations à jongler avec des coûts accrus et les conduisent à des choix difficiles. 

La délicate relation État-associations

  • Aujourd’hui, le modèle associatif est financé en partie par les subventions, en petite partie par du mécénat. Il faut absorber le choc de l’inflation qui met en danger nombre d’organisations. Elles ne sont pas faites que de projets, il faut aussi financer la structuration pour qu’elles puissent agir. Ces choses sont-elles comprises quand vous menez des discussions avec le Gouvernement ? 

 

Théoriquement bien sûr, mais pratiquement, il y a un sujet. Cela veut dire : comment matérialise-t-on la reconnaissance du modèle non-lucratif ? Mais de toutes façons, et sans vouloir accabler qui que ce soit, il y a vraiment un sujet de compréhension de ce que nous faisons et de ce que nous sommes. 

 

  • Est-ce que vous êtes capables de faire assez valoir la valeur associative ? 

 

Sans doute pas assez. En tous cas, nous pouvons faire encore plus. Pour moi, cela implique d’être hyper-organisés, hyper-solidaires. Et c’est le sens des alliances que l’on construit et investit car seuls nous n’y parviendrons pas. 

 

  • Faudrait-il alors travailler sur un modèle de partenariat avec l’État puisque dans de nombreux endroits finalement il y a aussi des délégations de service public ? Faudrait-il que l’État accepte le fait associatif en se disant que les associations assument un certain nombre de tâches et qu’il les reconnaît comme telles ? 

 

Le rôle des associations est de comprendre et de servir les publics de manière singulière. Il y a des cas où la présence accrue de l'État est indispensable. Des moyens doivent ainsi être engagés pour répondre à des situations scandaleuses. Il y a aussi d’autres moments où ce n’est pas qu’une question de présence de l’État, c’est aussi une compréhension des publics. 

Je ne crois pas que les associations doivent agir simplement parce que l'État ne le fait pas. Leur action relève de la liberté d'initiative et du pouvoir d'agir de citoyens motivés. L'Économie Sociale et Solidaire (ESS) est un exemple de ce pouvoir d'agir, mettant en lumière une volonté collective d'intervenir non pas seulement en l'absence de l'État, mais parfois pour faire mieux ou différemment, pour répondre à des besoins spécifiques ou pour innover dans l'approche des services rendus.

Quels interlocuteurs ?

  • Aujourd’hui, il y a un ministère qui couvre les associations sans que le titre soit officiellement reconnu, dépendant de l’Éducation nationale. Il y a aussi un ministère qui traite de l’économie sociale englobant les associations. Ne manque-t-on pas d’un lieu avec un délégué interministériel qui puisse embrasser les questions de façon globale plutôt que d’éclater en permanence les endroits de décisions ?

 

Sincèrement, je ne pense pas que ce soit le vrai problème. Le vrai sujet c’est d’avoir un interlocuteur fort qui obtient pour nous des avancées. La vraie question est : comment nous considère-t-on ? Quel travail fait-on ensemble ?

Nous avons de bonnes interlocutrices telles qu'Olivia Grégoire et Prisca Thévenot qui ont prouvé leur efficacité. Bien que leur disponibilité soit parfois limitée, elles nous ont apporté un soutien significatif, comme l'a démontré Prisca Thévenot en aidant à rediriger des fonds de comptes inactifs vers le FDVA,  ce qui a abouti à un financement supplémentaire de 20 millions d'euros. 

Il y a beaucoup de points qui n’ont pu être réglés et, pour cela, une mobilisation constante est nécessaire. Je ne pense pas qu'une posture défensive soit la meilleure approche, cela pourrait nous faire perdre de vue nos objectifs principaux et ce n'est pas toujours la stratégie gagnante. Au contraire, il est essentiel d'être exigeant tout en ayant des attentes élevées pour obtenir des réponses à la mesure de nos ambitions.

Il faut clarifier ce que sont les associations à la République. Sont-elles considérées comme une menace, comme par certains interlocuteurs ou, au contraire, sont-elles une force ? Et c’est là que nous sommes dans un conflit. Finalement, la question cruciale est de savoir si nous sommes en mesure de formuler une politique de vie associative ambitieuse et sous quelles conditions cela pourrait se réaliser. Quant à la nécessité d'avoir un unique interlocuteur au sein de l'État, je pense que nous pourrions bénéficier d'une approche plus étendue et collaborative, impliquant divers acteurs gouvernementaux.

Faire coexister représentation élective et citoyenne : une force pour la démocratie

  • Dans un pays qui en ce moment veut de l’ordre, il est compliqué de faire coexister des organisations gestionnaires et des organisations activistes. Pourtant, celles-ci sont indispensables. Si l’on prend le cas du sida par exemple, si Act Up n’avait pas fait des folies, on n’aurait jamais eu la reconnaissance de la maladie et le développement des protocoles de soins. N’est-ce pas la force de la démocratie d’absorber des formes d’expression diverses, souvent poil à gratter qui ouvrent des pistes nouvelles et apportent de l’innovation ?

 

Le monde associatif ne se définit pas simplement par une fonction caritative visant à apaiser les souffrances du monde, bien que cela fasse partie de son action. Il est aussi un catalyseur de progrès social, un instigateur de débat et d'innovation qui contribue à façonner la société de demain. Il porte en lui la promesse de nouveaux droits et de nouveautés qui n'existent pas encore, en posant les jalons pour l'avenir.

Cette capacité à produire des aspérités et à interpeller est précisément ce qui rend le monde associatif indispensable. Réduire la liberté d'initiative des associations risquerait de nous priver de progrès potentiels, de ces avancées qui, bien que non encore connues, pourraient s'avérer fondamentales.

Dans le contexte actuel, où nous assistons à des conflits de légitimité constants, le rôle des associations prend une dimension encore plus critique. Ces conflits opposent souvent la légitimité électorale à d'autres formes de légitimité, créant un dilemme intellectuel et politique profond. La démocratie représentative, bien qu'elle ait connu des jours meilleurs, ne peut se préserver seule. Elle a besoin des associations, de la démocratie civile et sociale, pour évoluer.

Reconnaître que la légitimité ne réside pas exclusivement dans les mains des élus, mais aussi dans celles des citoyens qui s'organisent, qui challengent et interpellent, est vital. Le monde associatif enrichit la démocratie représentative, en lui apportant la vitalité nécessaire pour se renouveler et s'adapter aux défis contemporains. Il est essentiel de valoriser cette forme de légitimité partagée pour faire progresser la société.

Lucratif, non lucratif pour une clarification essentielle

  • Je voudrais revenir sur la question du secteur non lucratif. Il y a une sorte de flou sur la compréhension du secteur non-lucratif avec de nouveaux acteurs du secteur lucratif qui voudraient intégrer le secteur non-lucratif comme toutes les startups prestataires qui s’occupent d’aider les associations ou les entreprises à mission. 

 

Bien sûr, vous avez raison, tout n’est pas pareil. Il y a une espèce d’énorme confusion, cela crée donc un vrai risque. C’est ce que nous essayons de faire avec d’autres : rappeler ce qu’est le modèle non-lucratif, et en quoi les autres démarches diffèrent. Cela ne signifie pas que les autres ne font pas bien, c’est juste quelque chose de différent. Quand vous êtes dirigeant·e d’une association, même si vous l’avez fondée, si vous l’avez portée, si vous avez travaillé vos week-ends, vos soirées… le jour où vous partez, vous partez avec zéro euro. Si vous avez monté votre entreprise, vous avez fait la même chose, les mêmes efforts, mais vous partez potentiellement avec beaucoup d’argent. C’est une vraie différence !

 

  • Mais quand je vous entends, la question du non-lucratif n’est plus une question, est-elle bien traitée ?                                                                                                                                                                                           

 

Je ne dis pas cela, mais il faut juste ne pas se tromper d’ennemi. Il est essentiel de bien choisir nos batailles dans le paysage de l'ESS. La question est de savoir pourquoi nous sommes ensemble, ce que nous voulons accomplir ensemble. Au-delà de nos intérêts économiques partagés sur la question du non lucratif ou de la lucrativité limitée qui ont initialement forgé notre alliance, il y a une dimension politique plus profonde et un projet commun à porter.

N’a-t-on pas mieux à faire que se battre sur des détails  et nous attaquer aux vrais problèmes ? Est-il par exemple satisfaisant que dans le grand âge et dans la petite enfance, il y ait des gens qui gagnent beaucoup d’argent sur le dos des bébés et des personnes âgées ? En tant que militants et acteurs de l'ESS, il me semble que nous devrions plutôt nous organiser et prendre une position offensive, afin de reprendre, département par département, les espaces actuellement dominés par le secteur privé lucratif. Si nous agissons ensemble, notre impact sera d'autant plus fort. Il faut davantage rentrer dans une dynamique d’action. Si je passe ma vie à dire que rien ne va, que l’État nous détruit et que les autres sont nos ennemis, c’est un enfer.

 

  • La question n’est pas celle de la destruction, mais davantage celle de l’incompréhension.

 

Tout à fait, et donc comment fait-on pour que les choses changent ? Soit nous attendons que les autres changent, soit nous faisons en sorte que les autres changent. Moi je suis plus dans une ligne d’action. 

Il faut défendre le modèle associatif, ses spécificités, ses particularités. C’est quand même le modèle dominant dans le monde de l’ESS, pour 80 % du secteur.  Parce que cela produit beaucoup de singularités, je reste convaincue que nous avons besoin des uns et des autres. Si l’on veut faire en sorte qu’il n’y ait plus d’EHPAD privés lucratifs, ce ne sont pas les associations toutes seules qui vont y parvenir. Si on veut faire en sorte que l’alimentation ne soit pas un marché d’enrichissement personnel infini, ce ne sont pas les associations toutes seules qui vont y parvenir. Nous avons besoin de ces alliances et elles ont du sens dès lors qu’elles ont une portée politique.

La relation associations-fondations : progresser dans la collaboration et les alliances

  • Les deux modèles qui ont été assez lointains et qui se sont rapprochés sont les associations et les fondations. Comment voyez-vous la relation associations-fondations ?

 

Je pense qu’elle est essentielle, mais qu’il reste encore beaucoup à faire. Quand je vois les dossiers que les fondations demandent aux associations pour 15 000 euros de subvention, cela paraît excessif et on pourrait comparer cela à ce que l’on reproche à l’État…

 

  • Le rôle des fondations auprès des associations doit-il s’éloigner d’un rôle de simple financeur à partir d’appels à projets souvent trop complexes, ou devraient-elles élaborer ensemble des politiques d’inclusion, des politiques sociales, écologiques… ? L’avenir n’est-il pas là ? 

 

Si, bien sûr, pour une partie de l’avenir, et en tous les cas, c’est ce que nous portons. C’est aussi pour cette raison que nous sommes très impliqués dans la Coordination Générosité, et tout le travail que nous faisons avec le Centre Français des fonds et Fondations, l'Admical et France générosités. Il s’agit de pouvoir se mettre davantage à la place de l’autre, de comprendre en tant qu’acteur associatif les contraintes des fondations et inversement. Quand nous nous comprenons mieux, nous pouvons mieux travailler ensemble. À la fin, nous portons tous la défense de l’intérêt général parce que nous avons beaucoup en commun, mais il nous reste du travail pour alléger les procédures, les relations de prestations, tout n’est pas rose.

Nous y travaillons et nous progressons, mais il reste des choses à faire et il faut rester très attentif. Je trouve qu’au-delà des questions de financement il faut aussi parler de politique. Il faut se rappeler pourquoi nous sommes ensemble. Quelle est la force de l’alliance entre les associations et les fondations ? Entre les associations et les fondations et le reste de l’économie sociale et solidaire ? Ensuite, il faut investir massivement pour y parvenir parce que nous sommes convaincus que quelque chose nous porte et que nous avons envie de défendre quelque chose. 

 

  • Voulez-vous ajouter quelque chose ?

 

Peut-être la question des libertés associatives. Il se passe des choses très importantes au niveau européen et les échéances européennes sont essentielles. Nous avons donc une parole de la société civile à porter dans ce contexte. C’est pour cette raison que nous organisons « Droit de Cité » sur le thème de l’Europe le 26 janvier 2024. Nous sommes préoccupés par le rétrécissement de l’espace civique en Europe. Il faut que nous nous mobilisions, que nous réfléchissions et encore une fois que nous soyons très organisés, très unis.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.


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