Comment la RSE peut-elle répondre à la quête de sens des collaborateur·rice·s ?
Le sens s’affirme comme un enjeu clé pour les collaborateur·rice·s dans leur activité professionnelle. Les mesures de responsabilité sociétale des entreprises peuvent-elles y répondre au moins en partie ? Éléments de réponse.
92 % des actif·ve·s s’interrogent sur le sens de leur travail, selon une étude Audencia et Jobs that make sense publiée en 2022. Ces questionnements orientent leurs choix professionnels, parfois au point de les pousser à quitter leur emploi.
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) désigne l’intégration « par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes », selon la Commission européenne. Elle comprend donc des engagements qui limitent les impacts écologiques et sociaux des entreprises et des mesures de qualité de vie au travail pour les collaborateur·rice·s. Comment ses engagements peuvent-ils répondre à leur quête de sens ? Éléments de réponse avec Caroline Derom, manager conseil et formation dans le cabinet spécialisé dans la transition durable des entreprises MySezame et Thomas Coutrot, économiste et auteur avec Coralie Perez de Redonner du sens au travail, publié en 2022.
S’engager pour la planète et la société
« La façon dont l'entreprise intègre les enjeux environnementaux et sociaux à ses activités » pourrait répondre à la quête de sens des salarié·e·s. Il s’agit du premier critère de « sens au travail » cité par les étudiant·e·s interrogé.e.s par Ipsos pour la Conférence des Grandes Écoles en 2021. Caroline Derom explique qu’il « n’y a plus de recrutement aujourd’hui sans qu’on pose des questions » sur les enjeux sociaux et écologiques. Elle ajoute que les actions de durabilité des entreprises incitent les employé·e·s à rester en poste. Appartenir à une organisation responsable donne du sens au travail, soit parce que l’activité a un sens en soi pour les salarié·e·s, soit parce qu’ils·elles peuvent participer aux projets de transition durable, explique Caroline Derom.
Certaines organisations choisissent de pousser leur engagement à un cran supérieur en proposant à leurs collaborateur.rice.s des actions d’engagement citoyen, comme du mécénat ou du bénévolat de compétences. Là encore, elles répondent au besoin d’utilité sociale exprimé par les salarié·e·s. Cependant, Caroline Derom considère que si ces activités ne s’inscrivent pas dans une politique générale de transformation de l’entreprise, elles peuvent « créer une dissonance » pour les collaborateur·rice·s. De même, selon Thomas Coutrot, mener ces actions « sans remettre en cause l’organisation du travail » revient à « essayer d’adoucir une souffrance sans en traiter les causes ».
Améliorer la qualité de vie au travail
Une étude publiée par l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) montre toutefois que pour les jeunes, la quête de sens passe par la qualité de vie au travail, bien avant l’impact social et environnemental. En effet, 88 % des actif·ve·s interrogés par OpinionWay pour l’Anact estiment qu’un travail qui a du sens se déroule dans de bonnes conditions et facilite la recherche d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il permet aussi d’apprendre et de se perfectionner pour 90 % d’entre eux·elles et de s’organiser de manière autonome selon 87 % des sondé·e·s.
Ce que révèle cette enquête, c’est que les conditions de travail sont cruciales pour les actif·ve·s. Le sens n’est donc pas seulement une question de finalité de l’emploi, mais aussi de la façon de travailler. Ainsi, par exemple, des mesures destinées à améliorer les conditions de travail, la flexibilité et l’autonomie ou des actions de formation répondent en partie à la quête de sens.
Thomas Coutrot explique que « des méthodes de management très top down, très fondées sur des règles bureaucratiques, des process, des objectifs chiffrés et du reporting permanent sapent vraiment le sens que les gens peuvent trouver à leur travail ». Selon lui, le « phénomène de perte de sens » au travail est précisément « lié à ces méthodes de management », que des politiques RSE pourraient en théorie faire évoluer.
Une transformation « authentique » qui associe les salarié·e·s
Engagements à limiter son impact écologique ou à améliorer son impact social, mesures de qualité de vie au travail ou de formation : ces actions peuvent certes donner plus de sens à l’emploi, mais elles ne constituent pas pour autant une panacée. Thomas Coutrot et Coralie Perez étudient la corrélation entre « certification RSE par un cabinet d’audit extérieur » et sens du travail. Leur conclusion ? Les salarié·e·s de ces entreprises « ne trouvent pas plus de sens » dans leur emploi qu’ailleurs. En cause : « dans la plupart des cas, les indicateurs RSE sont produits par les entreprises elles-mêmes, avec très peu de contrôle indépendant, reflétant davantage une politique de communication qu’une véritable politique de transformation du management et des décisions de production ».
De même, Caroline Derom observe que les salarié·e·s sont « de plus en plus critiques sur le cœur d’activité de l'entreprise et de plus en plus vigilants au greenwashing ». Si la transformation de l’entreprise n’est pas « authentique » ou si elle ne fait pas preuve de suffisamment de transparence, les collaborateur·rice·s peuvent perdre leur motivation.
Pour rendre la transformation réelle, il faudrait que les entreprises déploient des indicateurs de qualité du travail « validés par les salarié·e·s et les représentants du personnel », estime Thomas Coutrot. Selon lui, les enquêtes sur les conditions de vie au travail et « les sciences du travail ont montré que le bien-être ou la santé des salarié·e·s se construisent principalement à partir de leur pouvoir d’agir au travail. » Associer les salarié·e·s à la politique RSE se révèle donc indispensable.
La RSE ne peut pas tout
Les études et sondages montrent que les salarié·e·s et étudiant·e·s attentif·ve·s au sens de leur emploi souhaitent que le cœur de leur activité serve des objectifs d’intérêt général. Pour 68 % des actif·ve·s interrogés par OpinionWay pour l’Anact, le travail a du sens parce qu'il est utile pour la société. Le verdissement ou l’amélioration de l’impact social d’une activité jugée inutile ou à l’impact écologique ou social négatif ne suffira donc pas forcément.
Thomas Coutrot estime enfin qu’un travail perd son sens dès lors qu’il est fondé sur la recherche du profit et que la performance est analysée à l’aune d’indicateurs financiers. À ses yeux, il est « un peu aléatoire » d’effectuer le « pari de rendre compatible » des principes RSE avec « des pratiques alignées sur l’intérêt financier des actionnaires (...) dans un monde concurrentiel comme le nôtre ». Ainsi, l’économie sociale et solidaire, qui promeut des valeurs « d’utilité sociale et environnementale qui ne sont pas tournées vers le profit », peut selon lui fournir une réponse à la quête de sens des salarié·e·s.
La rédaction