Les entreprises démocratiques sont-elles les plus performantes ?
La gouvernance démocratique des structures de l’économie sociale et solidaire leur permet-elle d’être plus performantes que les autres types d’entreprises ? Et dans ce cas, qu’entend-on par performance ? Des échanges éclairants ont eu lieu autour de ces questions lors des Journées de l’économie autrement.
Les entreprises démocratiques sont-elles plus performantes que les autres ? C’est la question qui était posée lors d’une table ronde des Journées de l’économie autrement, organisées à Dijon à l’initiative du magazine Alternatives Économiques les 24 et 25 novembre dernier.
Cette formulation pose d’abord la question de ce que l’on entend par « performance ». S’agit-il de performance financière ? Ou d’une performance d’une autre nature ? Pauline Raufaste, chargée d’affaires publiques à ESS France, souligne le caractère multidimensionnel de la performance des entreprises de l’ESS : une performance économique, certes, nécessaire à son développement, mais aussi une performance sociale, environnementale, et même territoriale, avec la notion de responsabilité territoriale des entreprises développée notamment par l’économiste Maryline Filippi.
La qualité de la vie démocratique comme critère de performance
« La qualité de la vie démocratique en leur sein est aussi un des axes de performance des structures de l’ESS, ajoute Pauline Raufaste. Il existe donc beaucoup d’injonctions à destination des entreprises de l’ESS, qui peuvent parfois être contradictoires entre elles ».
Dans le cas de structures se revendiquant de l’économie sociale et solidaire, « il serait plus pertinent de parler d’utilité plutôt que de performance, estime Adrien Couret, directeur général d’Aema Groupe. Sinon on perd la spécificité de l’ESS. » « Nous ne devons pas nous perdre dans l’écueil de la mesure, ajoute-t-il. Et dans la manière dont nous nous évaluons, nous devons aussi prendre en compte les domaines dans lesquels nous renonçons volontairement à du chiffre d’affaires en vertu de nos missions d'utilité sociale. »
Outre leur gouvernance démocratique, les structures de l’ESS se définissent en effet par plusieurs caractéristiques : leur non-lucrativité (« le profit est indispensable pour développer la structure, mais il n’est pas au premier plan », souligne ainsi Youssef Achour, président de Up Coop), et leur utilité sociale et environnementale.
Dans sa thèse sur la performance des sociétés coopératives de production (Scop), forme particulière d’entreprise de l’ESS, l’économiste Thibault Mirabel démontre qu’elles sont plus durables que d’autres types d’entreprises. « Cinq ans après leur création, 65 % des Scop existent toujours, contre 50 à 55 % des entreprises conventionnelles », souligne-t-il. De même, en cas de crises, les Scop rebondissent globalement mieux que les autres entreprises, « grâce à une meilleure circulation de l’information ». « Par ailleurs, l’exercice de la délibération collective crée des attachements plus forts entre les salariés », indique Thibault Mirabel.
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De nombreuses barrières à l’entrée
Dans ce cas, pourquoi le modèle Scop n’est-il pas plus répandu ? Pourquoi n’existe-t-il que 2 500 Scop en France, employant 60 000 salariés ? Cette rareté s’expliquerait, selon Thibault Mirabel, par « de nombreuses barrières à l’entrée : le modèle n’est pas très connu ; la culture de la coopération n’est pas forcément naturelle pour tous ; par ailleurs les banques sont frileuses à financer les projets de Scop, qui n’intéressent pas non plus les autres types de financeurs car ils ne rapportent pas suffisamment, en raison de la faible rémunération du capital, etc. » À contrario, le fait que les résultats de l’entreprises soient en grande partie réinjectés sous forme de réserves impartageables dans l’entreprise peut permettre aux Scop et aux autres formes de structures de l’ESS de bénéficier d’une trésorerie importante lui permettant d’investir.
Youssef Achour, qui préside lui-même une des plus grosses Scop de France, Up Coop (800 salariés au sein de la maison-mère, plus de 3 000 dans le monde si on y ajoute ses filiales), estime que « l’entreprise coopérative ne convient pas forcément à tout le monde ». Car la spécificité d’un salarié de Scop est qu’il est également sociétaire de l’entreprise et participe aux décisions qui y sont prises. Une démarche exigeante et responsabilisante, qui ne se fait pas de manière naturelle pour tous. Up Coop déploie d’ailleurs un parcours « d’intégration au sociétariat » d’un à deux ans pour ses nouveaux salariés, afin de les familiariser avec la vie démocratique de la Scop et à leurs responsabilités de sociétaires.
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Des risques de déviance de la gouvernance
Adrien Couret, dont le groupe mutualiste compte 18 000 salariés et plus de 8 millions de clients, souligne quant à lui des « risques de déviance de la gouvernance », notamment quand la structure grossit. « Une bonne gouvernance démocratique demande des règles », ajoute-t-il. Dans le cas d’une mutuelle, notamment, ce ne sont pas les salariés, mais les clients qui sont sociétaires et votent à l'assemblée générale. « Mais il est difficile de dire : ce sont les sociétaires qui décident et vous, les salariés, vous exécutez. Car la qualité de service passe avant tout par les salariés, qui, chez nous, ont eux aussi une forte culture de l’engagement », note Adrien Couret. Il s'agit donc de multiplier les processus de concertation des salariés, mais aussi « de leur donner les conditions de bien faire leur métier, ce qui confère du sens à leur travail, ainsi que des possibilités de progression », estime ainsi le directeur général d’Aema Groupe.
Pauline Raufaste, elle, explique le développement limité de l’ESS – qui représente tout de même 14 % de l’emploi privé en France – par « l’absence de mise en place de politiques publiques d’ampleur pour la développer ». Malheureusement, la feuille de route récemment annoncée par Olivia Grégoire, ministre en charge de l’ESS, ne suffira pas à financer les ambitions du mouvement de devenir « la norme de l'économie de demain ».
Camille Dorival