Réemploi : pourquoi les acteurs solidaires reconditionnant nos appareils électriques sont en difficulté
Une partie des acteurs de l’économie sociale et solidaire collectent, réparent, reconditionnent et revendent des appareils électriques et électroniques. Mais la filière fait face à des difficultés, alors que se déroule, du 29 septembre au 5 octobre, la Semaine du réemploi solidaire, qui met ces structures à l’honneur.

Au printemps dernier, Envie, un réseau d’entreprises d’insertion agissant notamment pour le reconditionnement et le réemploi d’équipements électriques et électroniques, s’insurge : son « modèle local d’économie circulaire ancré dans les territoires » est « en péril ». « Plus de 1 000 emplois sont aujourd’hui menacés », dont une majorité de personnes éloignées de l’emploi accompagnées dans un parcours d’insertion par l’activité économique, alerte alors l’association. Autour de 130 licenciements ont eu lieu à ce jour. « Nous essayons de les limiter au maximum », indique à Carenews Guillaume Balas, le délégué général de la Fédération Envie.
En cause : les résultats d’un appel d’offre destiné à sélectionner les structures collectant les appareils électriques et électroniques usagés. Cinq entreprises d’insertion du réseau n’ont pas été retenues cette année, alors qu’elles l’étaient par le passé. Pour Envie, cela s’explique par la pondération du critère économique dans le mode de sélection des structures : le tarif pèse davantage que le critère social ou la qualité technique et environnementale. Or, la collecte réalisée par le réseau est plus coûteuse, avancent ses représentants, car elle est dite « préservante », pour favoriser au maximum la réutilisation des appareils.
Une faible proportion d’équipements réemployés
« Les conditions de l’appel à projets sont fixées par la loi et n’ont pas changé dans le temps », nous affirmait au contraire Nathalie Yserd en juillet. Elle dirigeait alors Ecosystem – elle a quitté ses fonctions depuis –, la structure agréée par les pouvoirs publics pour gérer la seconde vie des équipements électriques et électroniques et les appels à projets associés, appelée éco-organisme. « L’évolution doit se faire au niveau législatif, c’est un sujet qui dépasse Ecosystem », insistait-elle.
« On ne sent pas les pouvoirs publics très mobilisés sur la question du reconditionnement. L’État reste aux abonnés absents », dénonce à ce sujet Guillaume Balas.
Dans les faits, si le principe de « hiérarchie des modes de traitement des déchets », inscrit dans la loi, donne la priorité à la réutilisation par rapport au recyclage « une immense partie des gisements est directement orientée vers le recyclage », peut-on lire dans un rapport d’information parlementaire publié en mai 2024. Le taux minimal de réemploi et de réutilisation des appareils est fixé à 2 % des équipements mis sur le marché, une cible tout juste atteinte par la filière en 2023, selon l’Ademe.
Le réemploi consiste à utiliser un bien en l’état ou après une légère réparation. La réutilisation implique que le bien ait été remis à neuf avant son usage, c’est-à-dire reconditionné.
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Un renforcement de la régulation par l’État
Pour faire évoluer la situation, l’Union du réemploi solidaire, réunissant des organisations de l’ESS de diverses filières, dont Envie, appelle notamment à modifier la gouvernance des éco-organismes, comme Ecosystem. Celle-ci est aujourd’hui assurée par les fabricants et les distributeurs d’équipements, ce qui présente un « risque de conflit d’intérêts », selon un rapport d’inspection publié en 2024. « Il convient de prendre acte de l’incompatibilité entre la gouvernance des éco-organismes et la poursuite d’objectifs de réemploi, de réutilisation et de réparation », affirment ses auteurs.
« La situation est un peu absurde : on demande à des gens qui vendent du neuf de privilégier le réemploi », pointe Guillaume Balas d’Envie. Les organisations de l’ESS appellent à une gouvernance élargie, associant ces metteurs en marché, mais aussi l’État, les collectivités, les organismes chargés de la gestion et de la prévention des déchets, ainsi que des associations. « Une gouvernance partagée doit se mettre au service d’objectifs environnementaux forts », notamment en termes de réemploi, insiste Aurore Médieu, responsable transition écologique d’ESS France, la structure représentative des acteurs de l’ESS, également coordinatrice de l’Union pour le réemploi solidaire. Mais cette proposition « fait débat », selon les auteurs du rapport parlementaire : elle pourrait en effet créer d’autres conflits d’intérêts.
En tous cas, pour Aurore Médieu, « l’État doit prendre sa part et réguler de façon plus stricte les filières, pour protéger les objectifs de réemploi, privilégier la performance environnementale par rapport au facteur prix, ou pour orienter le gisement de qualité vers l’ESS, par exemple ».
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La concurrence d’acteurs du réemploi lucratif
En effet, un autre des défis auxquels font face les structures du réemploi solidaire concerne la quantité d’équipements à réemployer. « Il existe une “course au gisement” entre [ces] acteurs “historiques” et de nouveaux acteurs concurrents qui fragilisent les acteurs à vocation sociale », observent les députés dans leur rapport.
Ainsi, 23 % des équipements réemployés en 2023 ont été orientés vers des acteurs n’appartenant pas à l’ESS. Il s’agit d’abord des metteurs en marché, qui « commencent à se dire que les consommateurs ont une attente en matière d’offre de seconde main et souhaitent la leur proposer », constate Aurore Médieu. Des entreprises privées lucratives collectent donc les appareils des clients – c’est une obligation pour les distributeurs – et proposent une offre reconditionnée, ce qui fait concurrence aux structures de l’ESS. Ils « se réservent les équipements les plus valorisables », déplore Guillaume Balas, d’Envie.
En parallèle, des start-ups proposant de reconditionner les appareils se développent : de la même manière, elles « se focalisent » sur les appareils usagés « de qualité, à forte valeur ajoutée » et « appauvrissent les gisements auxquels l’économie sociale et solidaire peut avoir accès », fustige Aurore Médieu.
À cela s’ajoute une évolution du comportement des consommateurs, qui ont tendance à revendre plutôt qu’à donner aux organisations solidaires, « dans un contexte de crise de pouvoir d’achat », met encore en avant la responsable d’ESS France. La situation économique conduit aussi à une baisse de la consommation des ménages, particulièrement sur les équipements de maison, souligne Guillaume Balas. Cela fragilise encore un peu plus les structures de réemploi.
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Rendre ces acteurs plus visibles
L’Union du réemploi solidaire demande ainsi davantage de financement pour les structures de l’ESS. Une exigence justifiée, aux yeux d’Aurore Médieu, par leur contribution « à l’économie de proximité et à la création d’emplois en insertion. Ce sont des actions d’intérêt général au service du territoire, avec une lucrativité nulle ou limitée ».
Ce soutien doit passer, selon l’organisation, par une augmentation de l’abondement minimal des fonds réemploi, prévus par la loi et gérés par les éco-organismes. Ils peuvent profiter aux acteurs de l’ESS. Leurs ressources s’élèvent au minimum à 5 % des contributions qui sont versées par les metteurs en marché aux éco-organismes : le rapport parlementaire de 2024 recommande de doubler cette part à 10 % au minimum.
Les collectivités locales pourraient aussi être mobilisées, par le versement de subventions ou l’accompagnement dans l’accès au foncier. Aurore Médieu mentionne l’importance de son poids dans les dépenses des structures et revendique de rendre ces acteurs « visibles, dans les centres-villes, pour donner envie et concurrencer l’offre lucrative ».
Célia Szymczak