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Par Carenews INFO - Publié le 8 février 2023 - 16:00 - Mise à jour le 8 février 2023 - 16:09 - Ecrit par : Christina Diego
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Réforme des retraites : comment faire travailler plus longtemps les seniors ?

Le gouvernement a annoncé un âge de départ à la retraite légal à 64 ans. Dans la réalité, les salariés sont rarement en emploi après 60 ans. L’index senior peut-il changer la donne ? Comment les entreprises peuvent-elles s'adapter ? Le mécénat de compétences des salariés seniors est-il une réponse à prendre en compte ? Décryptage.

Les salariés seniors devront travailler plus longtemps. Crédit : iStock
Les salariés seniors devront travailler plus longtemps. Crédit : iStock

 

La réforme des retraites, qui prévoit de repousser l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, est présentée par le gouvernement à l’Assemblée nationale depuis ce lundi 6 février. L’exécutif le sait, la bataille ne fait que commencer. Privés de majorité absolue, les ministres ont déjà dû faire quelques concessions pour rallier un certain nombre de députés, notamment à droite. Très critiqué, le volet qui concerne la volonté de créer un « index senior » par le ministre Olivier Dussopt fait couler beaucoup d'encre depuis des semaines et a même été remanié. 

 

L’index senior peut-il régler le problème du recul d’âge ? 

 

Pour faire en sorte que les seniors restent en emploi, le ministre du Travail Olivier Dussopt avait annoncé, fin janvier, vouloir contraindre les entreprises de plus de 50 salariés à être plus transparentes dans leurs pratiques en publiant un index professionnel du taux d’emploi des seniors.   

Le texte présenté ce lundi prévoit bien un « index senior », mais remanié en rendant cette mesure obligatoire pour les grands groupes de plus de 1 000 salariés dans un premier temps, puis à partir de 2024, pour les entreprises de plus de 300 salariés. Ensuite, cette contrainte pourrait concerner celles de plus de 50 ou 60 salariés. Rien n’est encore définitivement fixé. La question de l’emploi des personnes de plus de 60 ans reste entière. Car c’est l’âge à partir duquel les chiffres d’employabilité baissent. 

 

D’après la Dares, en 2021, 56 % des 55-64 ans sont en emploi (contre 81,8 % des 25-49 ans) et 59,7 % sont en activité. Autre donnée, le taux d'emploi baisse à 35,5 % de 60 ans à 64 ans. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de septembre 2022 dévoile qu’à l’âge de 62 ans, c’est-à-dire à l’âge d’ouverture des droits à la retraite actuellement, ils ne sont plus que 28,2 % à être en emploi (dont 6,8 % à temps partiel) alors que 50,5 % sont déjà en retraite ou en préretraite et 4,6 % en cumul emploi-retraite. 

 

Comment maintenir les seniors en emploi ? 

 

Comment faire travailler les Français.es jusqu'à 64 ans, quand on sait qu'après 60 ans, deux seniors sur trois n'ont pas d'emploi ? Le gouvernement avance donc l'idée d'un index senior dans les entreprises pour les contraindre à les garder plus longtemps. Est-ce une bonne idée ? Les professionnels du recrutement pour les entreprises que nous avons interrogés sont partagés. ​​

Caroline Renoux, fondatrice et CEO de Birdeo pense que l’idée d’un index, est à la fois dommage et une bonne chose. « Avec celui de l'égalité, les directions générales sont sensibles au fait d’avoir un bon index et cela fait partie des critères extrafinanciers ESG pour lesquels il faut avoir de bonnes notes pour accéder à des financements ». Pour elle, rajouter un index senior ferait partie du package et permettrait d’avoir plus de seniors en entreprise. L’impact pourrait être réel. Les entreprises auraient le nez sur l’index et recruteraient à compétences égales un senior. « Dans le secteur de l’impact, où on a besoin de transformer les entreprises au niveau social et environnemental, l'expérience des seniors est nécessaire. Ils ont souvent eu à conduire des transformations, digitales ou d’organisation, de dialogue avec les parties prenantes », détaille-t-elle. 

 

« Une question de lien intergénérationnel »

 

Autre point de vue intéressant, celui d’Arnaud Bioul, senior executive associate chez Michael Page. Ce dernier explique que depuis une dizaine d’années, les choses s’améliorent dans le bon sens dans les entreprises. Chez Page, les consultants sont formés aux discriminations, et « l’âge est la première d'entre elles », avance-t-il. « Le vrai pari du gouvernement à travers l’index est d’essayer d’avoir non plus 35 %, mais 40 % de seniors employés », détaille-t-il. Or, l’enjeu majeur en période de croissance dite « molle » est ailleurs. Le gouvernement le sait, il doit faire entrer les jeunes sur le marché du travail. Comment arriver à concilier l’emploi des jeunes générations et des seniors qui vont devoir travailler plus longtemps ? Pour les entreprises, « c’est vraiment l'enjeu », explique Arnaud Bioul. Pour lui, la logique de l’index senior va être difficile à mettre en place. « Cela varie d’une entreprise à une autre, d’un secteur à un autre, d’un bassin d'emplois à un autre. Il faudrait plus parler d'intergénérationnel que d’index. »  

Il cite l’exemple de moyennes entreprises où dans la direction R&D, les jeunes sortent des écoles avec des connaissances pointues qu’ils vont partager auprès des générations déjà installées. « L’intergénérationnel, c'est véritablement une question de performance opérationnelle. Si on ne parle que d’âge et d’index, c'est contre-productif ». Reculer l'âge à la retraite, c'est aussi penser qu'en 2030, un Français sur deux aura plus de 50 ans. « C’est vertigineux, les entreprises devront donc s’adapter. » 

Dans une dernière étude du cabinet Michael Page, le lien intergénérationnel serait une préoccupation pour six entreprises sur dix, mais seule un tiers a mis en place des actions concrètes au sein de son organisation pour favoriser la dynamique intergénérationnelle : 67 % du tutorat/tuilage, 47 % des programmes de mentorat et 14 % du mécénat de compétences. Des marges de progression existent donc. 

 

Le mécénat de compétences des salarié.es seniors, une réponse ? 

 

Le mécénat de compétences, à titre individuel pour les personnes salariées dites seniors, est souvent considéré comme un tremplin entre la vie professionnelle et l’engagement associatif, notamment en fin de carrière. D’autres observateurs vont plus loin et avancent que le dispositif serait une réponse intéressante pour capitaliser sur les compétences des seniors en emploi.  

Dans les faits, il n’y a pas vraiment de chiffres exacts sur la proportion de salariés seniors qui pratique le mécénat de compétences. Dans le dernier baromètre Admical de décembre 2022, on apprenait que le mécénat de compétences était une priorité pour 25 % des entreprises interrogées. Or, dans les faits, c’est un dispositif encore confidentiel. 

 

Agathe Leblais, directrice générale de Pro Bono Lab émet quelques réserves à ce sujet. « Du point de vue des associations, je ne suis pas sûre qu’elles soient toutes en capacité d’accueillir des profils dits seniors. » Il manquerait d'ailleurs un cadre qui permettrait à l’association de donner son accord. Parfois, ces dernières témoignent de difficultés à encadrer un senior, surtout pour ceux qui n’ont jamais eu d'expérience dans l'associatif. « Le mécénat de compétences a pour objectif principal d’apporter du plus à l'association. C’est le point de vigilance à garder en tête », indique-t-elle. 

 

Un manque de débat sur la place du travail

 

Partisans ou pas d’un index senior, le débat reste ouvert. Surtout à l’heure où la place du travail dans nos vies personnelles et au sein de la société n’a jamais été aussi cruciale. Grande démission, quête de sens, les derniers mouvements des jeunes générations, mêmes des plus diplômées, ne cessent de requestionner la valeur travail.

Dans une récente étude, la Fondation Jean Jaurès démontrait que les Français font plus volontiers passer leur activité professionnelle au second plan. Ils sont désormais 24 % seulement à estimer qu'elle est « très importante » contre 60 % dans les années 90. Un effondrement de 36 points. 

N’aurait-il pas été nécessaire d’avoir un vrai débat de société sur le travail et les nouvelles aspirations qui émergent des salararié.e.s ? Car comme le précise à juste titre l’étude de la fondation, les transformations qui traversent actuellement le monde du travail ne viennent pas, pour une fois, des entreprises, mais des actifs eux-mêmes.

Ces derniers aspirent à une envie de bien-être au quotidien. Il ne s’agit plus tant « de se réaliser » par le travail que de « s’y sentir bien ». Comment s’y sentir bien jusqu'au jour de son départ à la retraite ? Le défi est de taille. 

 

Christina Diego 

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