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Par Carenews PRO - Publié le 17 décembre 2021 - 12:00 - Mise à jour le 21 décembre 2021 - 16:46 - Ecrit par : Christina Diego
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Quel bilan peut-on faire des mesures annoncées cette année pour le secteur de l’engagement ?

Relance des PTCE, déploiement de 100 tiers-lieux dans les territoires, contrats à impact, loi « séparatiste » et associations, essor des entreprises à mission… On fait le point sur les différentes mesures annoncées cette année pour le secteur de l’engagement.

Bilan des mesures pour l'ESS en 2021. Crédit : iStock
Bilan des mesures pour l'ESS en 2021. Crédit : iStock

 

Le secteur de l’économie sociale et solidaire a été marqué tout au long de l’année par de nombreuses annonces du gouvernement. Quelles sont les tendances fortes à l’heure du bilan ? Décryptage avec Emmanuel Sadorge, avocat associé chez Légicoop, cabinet en droit des affaires sous forme de coopérative à mission. 

 

Quelles tendances 2021 émergent pour le secteur ?

 

L’écosystème de l’ESS et de l’engagement a beaucoup évolué ces dernières années, d’autant plus avec les conséquences sociales soulevées par la crise sanitaire. L’économie sociale et solidaire apparaît comme le modèle vertueux dont il faudrait s’inspirer. Or, en son for intérieur, il existe une typologie de structures très hétérogènes et des débats internes interrogent la place de chacune.

 

Pour Emmanuel Sadorge, une première grande tendance concerne le positionnement de nombreuses associations ne se reconnaissant pas toujours dans l’écosystème lucratif de l’ESS.  « Certaines associations ont une mission purement sociale. De fait, leur caractère désintéressé les distingue des entreprises sociales qui rémunèrent leurs fondateurs et associés », nous précise-t-il. 

Le juriste parle d’un secteur « en pleine crise identitaire, particulièrement les acteurs historiques et désintéressés. Il existe une forte inquiétude de beaucoup d’acteurs de la non lucrativité de l’ESS échappant du secteur marchand, notamment des associations et des fondations, par rapport à la promotion de l’impact investing et de l’entrepreneuriat social. »  En toile de fond se pose la question fiscale des structures. Pour l’avocat, de nombreuses associations arrivent à justifier d’être exonérées d’impôts commerciaux parce qu’elles se distinguent d’un secteur marchand classique. 

 

 Quand les entrepreneurs sociaux se placent dans le même champ d'activité qu’une association, ils et elles se mettent en concurrence et au final c’est une mise en danger du modèle fiscal de l’association », indique le juriste. Autre exemple, les ressourceries. Historiquement, ce sont majoritairement des associations d'insertion sociale. Elles sont également assez inquiètes. Elles œuvrent le plus souvent pour un modèle social et écologique désintéressé. Elles se retrouvent en concurrence avec des entreprises lucratives dites à impact qui prétendent faire la même chose. »

 

 

L’essor des entreprises a mission en débat 

Autre grande tendance, l’évolution des entreprises de l’économie classique et leurs déclarations à être plus responsables. « Face à cela, les acteurs historiques sont en quête d’identité sur comment se différencier particulièrement aux yeux du grand public. »

Pour Emmanuel Sadorge, des différences existent comme le bénévolat et l’absence d'enrichissement et d'intérêt patrimonial des dirigeants dans les structures de l’ESS. « Les entreprises classiques ont la puissance de créer des filiales, rentables ou pas d’ailleurs. Elles suivent la tendance actuelle d'améliorer leur image et revendiquer un impact, proposer des produits et services responsables. »

Pour lui, une grande réflexion doit être menée par le secteur de l’ESS sur ce qui différencie concrètement les acteurs historiques des nouvelles formes d’engagement des entreprises sociales. Qui pour animer ce débat ? Comment la grande famille de l’ESS peut-elle faire cohabiter en son sein des structures aux modèles et objectifs différents ?

 Je pense que l’année 2021 a véritablement été révélatrice de ce débat interne, notamment avec le développement des entreprises à mission qui inquiètent beaucoup d'acteurs historiques du secteur. » 

En effet, de nombreux observateurs le rappellent. Ce ne sont pas des entreprises de l’ESS. Il n’y a pas d’engagement de gouvernance démocratique, pas de limite à la lucrativité de l'entreprise. C’est un mouvement qui se développe à côté de l’ESS, nous rappelait Timothée Duverger, spécialiste de l’histoire de l’ESS dans une récente interview. 

« La seule chose qui se rapproche est la recherche d’utilité sociale, la définition de la raison d'être et d'objectifs sociaux et environnementaux. Contrairement à l’ESS où l’utilité sociale est définie par la loi, il y a une totale liberté est laissée aux entreprises à mission de fixer leurs propres objectifs », détaille Emmanuel Sadorge.  

 

Des mesures concrètes pour l’ESS

 

La relance des PTCE. En mai dernier, la secrétaire d’Etat de l’ESSR a annoncé la relance de 15 pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Au total, 15 lauréats vont bénéficier d’un accompagnement financier à hauteur de 100 000 euros pendant deux ans soit 2,5 millions d’euros investis en 2021. En septembre, le secrétariat à l’ESSR annonçait la création de 100 Manufactures de Proximité et un budget de 130 millions d’euros pour leur développement sur le territoire. 

 

Pour Emmanuel Sadorge, ce sont de très bonnes nouvelles. Les PTCE sont le parfait exemple de la coopération entre acteurs associatifs, entreprises engagées de l’ESS et collectivités locales sur un territoire. 

 C’est très positif et lié à une dynamique globale comprenant le développement du modèle de la SCIC, de plus en plus reconnu et utilisé, ou encore le développement des tiers-lieux dans les territoires. Ce sont deux phénomènes juridiques différents qui vont aboutir à la même finalité : développer des projets sur différents domaines comme l’écologie, la santé, l’agriculture, le numérique, l’emploi sur un même territoire avec des partenaires publics et privés. » 

 

La commission européenne vient d'adopter un plan commun pour définir l’économie sociale ce 10 décembre.

« C’est un moment important pour le secteur  Quel sera le changement d’échelle de l’ESS au niveau européen, notamment concernant les aides de l’Etat et la fiscalité ? Un enjeu fort est de reconnaître les spécificités des structures de l'ESS, ce qui les distingueraient des entreprises à mission. Sur la base de cette reconnaissance, on peut imaginer des dispositifs d’exonérations d'impôts ou des aides et des subventions spécifiques pour le monde du non lucratif », précise Emmanuel Sadorge.  

 

Des mesures en demi-teinte

 

Le secrétariat de l’ESS a lancé la plateforme Impact pour permettre aux entreprises de rendre publiques leurs performances ESG. Pour Emmanuel Sadorge, la plateforme à impact est une bonne chose en soi, mais réservée à des structures d’une certaine taille. « Le secteur de l’impact a besoin de beaucoup de données, de critères et d’indicateurs. Certains acteurs ne sont pas équipés, ni en taille ni en ressources, pour fournir tous ces indicateurs. » 

Se pose également la question de la place et la responsabilité de ces entreprises, au sens acteurs économiques, dans la société. « C’est un mouvement global de l'économie, cela va prendre beaucoup de temps avant d’aboutir. Tous les acteurs ne sont pas sur le même degré de sincérité, il y a encore une forte mécanique de recherche de rentabilité des investissements. Les acteurs de l’ESS sont clairs sur ce sujet : ils proposent un système anti-spéculatif et une rémunération du travail la plus juste possible et les bénéfices sont affectés prioritairement au projet de la structure », ajoute le juriste.  

 

Les contrats à impact. Quatre projets innovants pour l'égalité des chances et quatre autres pour l'emploi et l’insertion ont été sélectionnés et vont pouvoir bénéficier de contrats à impact. L’investissement s’élève à dix millions pour quatre projets de la même thématique. 

Pour Emmanuel Sadorge, même s’il faut des contrats à impact, « cela ne remplacera jamais les autres modes de financement de l’ESS comme les subventions, le mécénat ou autres. C'est un outil utile pour un besoin de financement massif. Et un modèle très coûteux. Cela fait intervenir l’Etat, une collectivité ou une fondation qui rembourse in fine le projet et paie des intérêts aux investisseurs privés. Ce genre de montage financier est plutôt réservé quand il y a une urgence à mobiliser rapidement des fonds. Je ne pense pas qu’il soit un instrument à massifier du fait qu’il y ait cette forte déperdition au profit d’acteurs privés poursuivant des objectifs de performances financières et de rentabilité. de leurs placements. »

 

Des mesures qui questionnent  

 

La loi du 24 août 2021 relative aux principes républicains visant à lutter contre le séparatisme contient un article sur l’encadrement des associations. Le monde associatif s’en était vivement inquiété. En octobre dernier, le gouvernement a annoncé un décret précisant le dispositif du contrat d’engagement républicain que devront signer les associations subventionnées. Les organisations s’inquiètent pour leur liberté associative.

La position d’Emmanuel Sadorge est très claire : 

En tant que juriste en droit des associations, le contrat d’engagement concernant les associations et leur accès aux subventions soulève un certain nombre de questions. J’y vois une atteinte à la liberté d’association. Je constate d’ailleurs que ce n’est qu’à l’égard du monde associatif qu‘il y a une suspicion particulière alors que cela pourrait concerner n’importe quelle forme juridique. C’est une dérive surtout si, demain, un pouvoir politique extrémiste arrivait, je ne sais pas ce que deviendraient certaines associations qui critiquent la politique du gouvernement en matières sociales ou écologiques. J’ai vraiment un doute sur la nécessité et l’efficacité de cette mesure. D’autant plus que les dissolutions passent inaperçues. Je pense que c’est le signal d’une certaine régression. À suivre en 2022. » 

 

L’annonce du financement des associations grâce aux titres associatifs souscrits par des investisseurs privés pour renforcer les fonds propres des associations. Emmanuel Sadorge doute de l’efficacité de cette mesure. Les investisseurs sont-ils prêts à se positionner sur les titres associatifs alors que leur liquidité est incertaine ? Les associations vont-elles pouvoir suivre et les rembourser ? 

 C’est un outil qui s’adresse à des associations particulières. Elles doivent s’inscrire au registre du commerce et des sociétés, avoir un modèle économique rentable permettant de payer les intérêts et rembourser les titres. Je me souviens de la loi Hamon qui avait à l'époque assouplit la mécanique et proposé d'émettre des titres fondatifs aux fondations. Cela n’a pas fonctionné plus que cela. Est-ce que cela va intéresser des fonds à impact ? Oui, mais alors ceux qui ne sont pas dans une logique de rentabilité mais uniquement dans une logique d’impact. » 

 

Christina Diego 

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