[TRIBUNE] « Chroniques Philanthropiques », le blog aux côtés des acteurs de la philanthropie
Le blog « Chroniques philanthropiques » a trois ans. Il vient de passer le seuil des 100 publications : interviews, tribunes, bibliographies. Ce projet transversal est original. Il veut dépeindre en toute liberté le rôle des acteurs de la philanthropie : associations, fondations, bénévoles et les donateurs, montrer l’évolution de ce secteur et les enjeux auxquels il fait face. Le blog a pour vocation d’être à l’écoute d’un monde qui change très vite et de faire plus connaître et reconnaitre un secteur en pleine croissance tant les besoins sont immenses. Ce sont des millions d’hommes et de femmes qui sont engagés pour rendre la société plus humaine et vivable. J’ai toujours à cœur de faire ressentir la force de l’engagement comme moteur de l’action, la capacité d’innovation, le bonheur et l’enthousiasme de ceux qui ont voulu agir directement ou par leurs dons. Le texte qui suit fait apparaitre de nombreux liens pour le relier aux interviews ou tribunes du blog et aider le lecteur à approfondir les sujets que j’évoque.
Agir sur tous les fronts
Pendant ces trois années j’ai voulu construire une cohérence pour embrasser les nombreuses dimensions de l’action du secteur non lucratif. L’approche des sujets est thématique afin de couvrir de larges domaines d’interventions sociaux, culturels, de recherche ou d’environnement. J’ai publié des tribunes. J’ai mené des interviews d’acteurs importants comme les grandes fondations mais aussi de moins visibles comme certaines petites associations, des coordinations, des personnes ayant joué un grand rôle, mais n’exerçant plus. J’ai voulu montrer leur valeur ajoutée, parfois l’originalité de leur démarche essentielle dans l’espace public.
Il ressort un sentiment positif et d’effervescence d’un secteur en pleine mutation, s’adaptant en permanence aux besoins si évolutifs pour répondre aux demandes de nombreux citoyens qui se retrouvent exclus.
En reprenant la métaphore du puzzle, le plateau est un projet global, par exemple la cohésion sociale ou plus spécifique comme le décrochage scolaire, chaque action est une pièce que l’on vient poser sur ce plateau. Ainsi, on comprend mieux que ce n’est pas la volumétrie de chaque pièce qui est importante, mais le fait qu’elle participe à dessiner progressivement un paysage. La perspective de s’inscrire au sein d’un projet ayant une vision globale donne force et sens à l’action.
Faire évoluer les méthodes d’intervention
Ce qui frappe, c’est la multiplicité des types d’interventions se situant là où l’État ne peut plus agir, tant les sujets sont complexes, parfois de petites tailles, souvent transversaux. Cette transversalité est appréhendée par le monde de la philanthropie avec plus de facilité, grâce à sa flexibilité et à sa capacité à monter des alliances. Tout cela élargit le champ du possible et permet d’apporter des réponses plus sophistiquées. Il apparait aussi que si l’État reste un partenaire indispensable pour que s’organise une cohésion dans les interventions, il doit faire preuve de plus de flexibilité dans les relations avec ses partenaires. Un autre enjeu réside dans les relations avec les corps de contrôle et l’administration qui n'ont pas les mêmes vitesses d’adaptation et ne réagissent souvent qu’en proposant de nouvelles normes contraignantes.
Les relations avec les collectivités locales sont en progression, car indispensables. Le niveau territorial permet, sur des espaces restreints, de mettre en place des collaborations entre tous les acteurs : associations, fondations, collectivités locales et entreprises qui se mobilisent pour répondre concrètement à des besoins très locaux. Ils sont le ferment de la cohésion sociale.
La pensée sur les modes d’interventions évolue. Une philanthropie du 21e siècle est en train de naître. Des initiatives innovantes mettent de côté les purs appels à projets qui ont le défaut de gommer l’originalité des organisations qui répondent pour les remplacer par de la co-construction. Certaines, regroupées dans le projet Racine ou la démarche de la Fondation SNCF, de la Fondation Caritas France, par exemple, en témoignent.
La maturité des financeurs évolue et certains commencent à soutenir non seulement les projets, mais aussi les organisations en les accompagnant sur plusieurs années. Ils ont compris que renforcer les structures, solidifier l’organisation donne plus de force pour l’avenir.
L’histoire, un tremplin pour l’avenir
Dans les interviews ou les tribunes, il y a également une partie historique pour mettre en perspective l’évolution de la philanthropie des 40 dernières années. Ces données historiques reliées à de nombreuses références bibliographiques montrent les évolutions du secteur non lucratif, en France ou à l’étranger. Il a semblé important d’illustrer le long travail de construction d’un secteur plein de vitalité qui a mis en place les outils de son développement pour le sécuriser, fiabiliser la chaine des dons, s’assurer d’une professionnalisation croissante. Cela fut la volonté, passagère, de certains gouvernants et de beaucoup de batailles pour obtenir des avancées juridiques et fiscales permettant de développer des organisations adaptées aux besoins. Les interviews mettent en lumière les hommes et les femmes qui en ont été les acteurs.
Pour que ce secteur soit reconnu, il a fallu lui donner une existence dont personne n’avait même idée de ce qu’il représentait. Les fondations étaient très peu connues et les associations l’étaient par certaines causes médiatisées, mais sans vision globale. Cela amené à faire des études d’abord quantitatives sur le nombre d’associations, leur volumétrie, le nombre de fondations, le nombre de salariés, le poids économique. Ce mouvement une fois engagé a entrainé une dynamique de recherche avec la création d’observatoires en France, le Cerphi, l’Observatoire de la philanthropie, et au niveau européen.
Ensuite vinrent des études qualitatives menées par des chercheurs d’universités ou d’organisations privées notamment les fondations, des associations, des organisations collectives comme l’Association Française des Fundraisers (AFF), France générosités, l’Admical, mais aussi par des cabinets conseil comme EY, Deloitte… Enfin sont apparues des études qualitatives permettant de mieux comprendre les enjeux et les motivations des acteurs (l’IFMA) et des études sociologiques sur la perception de la philanthropie dans la population française, en Europe et dans le monde. La Fonda, pour sa part, s’inscrit dans des recherches prospectives.
Progressivement, ce secteur est devenu source d’intérêt. Des thèses, des formations, des chaires (l’ESSEC ou le PSSP), des colloques ont renforcé son existence faisant mieux comprendre son rôle. Il s’est créé une école de la philanthropie permettant de sensibiliser les jeunes à l’engagement.
Il existe enfin de nombreux rapports de la Cour des comptes et de l’administration qui apportent des pierres à l’édifice de la connaissance. Il est possible de dire qu’il ne manque pas de données pour que ce secteur soit reconnu à sa juste valeur.
Les enjeux de demain, des batailles à gagner
Un des fondements du secteur est la collecte de fonds. Elle est un enjeu majeur pour sa survie. Des interviews passionnantes du blog révèlent les évolutions, la diversification des moyens d’approcher le donateur à l’heure de la digitalisation. Surgissent de nouveaux acteurs aux résultats flamboyants comme les gamers qui touchent un public plus jeune, des événements sportifs, le porte à porte, et de multiples méthodes issues de l’imagination fertiles de certains. Il faut toutefois définir comme limite la déontologie et la fiabilité de l’affectation des fonds en gardant à l’esprit que la collecte n'a de valeur que par l’aide qu’ elle peut apporter. La collecte est aussi sensible aux conditions économiques. Pour s’adapter, l’étude prospective sur les dix prochaines années réalisée par l’AFF est bien utile.
Il faut poursuivre l’exploration de la place du secteur non lucratif à l’intérieur de l’espace de l’ESS et s’interroger également sur l’évolution de la RSE. Comment les fondations deviennent une composante des politiques RSE des entreprises et quelles conséquences cela peut avoir sur l’ensemble du système.
Aujourd’hui, le secteur de la philanthropie se trouve en position fragilisée. D’un côté considéré illégitime par certains pour des raisons idéologiques, apparaissant pour d’autres comme un poids financier excessif pour l’État en raison d’une fiscalité qui serait trop généreuse. Nous en avons vu les effets lors de la réduction de la déduction fiscale pour les entreprises. Il existe aussi une tendance à vouloir marchandiser et financiariser la philanthropie en la rapprochant du secteur lucratif que sont les startup intervenants comme prestaires pour apporter des solutions aux associations ou fondations. Ces confusions portent le grand risque pour le secteur non lucratif de se voir marginalisé ou de devenir un prestataire de service pour l’État et donc dépendre de ses subventions.
Ce que l’on appelait le tiers secteur (le secteur non lucratif), à côté de l’État et des entreprises, doit persister dans l’espace public pour exister avec ses valeurs, son mode de fonctionnement dont le moteur n’est pas le gain monétaire. Les 20 millions de bénévoles s’engagent avec la conviction qu’ils peuvent aider leur prochain. Ne laissons pas se diffuser l’idée que c’est un monde ancien aux méthodes obsolètes alors qu'il fait chaque jour preuve de sa valeur et de son utilité pour maintenir une cohésion sociale dans notre pays qui se trouve confronté à de plus en plus de fractures, de violences et d’impossibilité d’avoir des dialogues apaisés.
Le blog fait son possible pour participer à la clarification de ces sujets.
Une des réussites du blog est d’avoir réuni, lors d’un webinaire, les quatre coordinations représentant le secteur (France générosités, le Mouvement associatif, le CFF, l’Admical). Elles se sont engagées à renforcer leurs liens pour avoir une parole unique sur des sujets communs. L’objectif est d’avoir un front uni pour faire face au Gouvernement et aux décideurs. Une telle démarche nécessite de comprendre que plus de choses unissent les acteurs de ce secteur qu’elles ne les séparent. De cela, nous ferons une force victorieuse. Mais, pour réussir, il faudra beaucoup de travail, certains renoncements et surtout la force de développer une volonté commune.
La première conséquence du webinaire a été la réalisation d’une plateforme commune pour l’élection présidentielle. L’étape suivante sera une « conférence de la générosité et l’engagement » comme il n'y en a pas eu depuis longtemps (lire à ce propos l’interview de Chantal Bruneau sur les dernières conférences). Il est souhaitable que l’attendu principal de la conférence soit la reconnaissance du secteur non lucratif dans la complétude de son rôle.
Elle doit permettre d’ouvrir les voies d’une modernisation de la philanthropie et engager l’État vers une vision ambitieuse pour favoriser le développement de ce secteur. La question de la gouvernance de l’État sur ce secteur, notamment le statut des fondations, le nombre de référents, devront aussi être des sujets traités.
Comme nous l’avons déjà évoqué dans le blog, les alliances et les regroupements sont des éléments essentiels du développement et de la reconnaissance de ce secteur. Yannick Blanc, dans une interview essentielle et visionnaire, précise que « les acteurs doivent changer de discours, cesser de se contenter d’un discours de justification sur ce qu’ils font, même si elle est légitime. Il faut qu’ils construisent leur pertinence stratégique, qu’ils la négocient et qu’ils l’imposent à leurs interlocuteurs et doivent tenir un discours stratégique. Il faut passer du plaidoyer d’utilité sociale à la vision, mais nous sommes encore trop en arrière de la main. Nous devons mettre en avant le type de ressources que nous pouvons mobiliser, le type d’action que nous pouvons mettre en œuvre et les services que nous pouvons rendre à la société aux côtés des acteurs économiques ou politiques. Nous n’avons pas besoin que nous soit octroyée une légitimité, puisque nous la tenons de notre capacité d’action ».
Le blog aux côtés des acteurs
Ce sont toutes ces évolutions enthousiasmantes que le blog veut continuer à accompagner, faire entendre ceux qui font bouger le monde face aux immenses enjeux de nos sociétés et de notre planète.
Je remercie les fondations qui ont cru dans ce projet et soutiennent la production et la réalisation de ce blog :
Fondation Bnpparisbas, Fonds Break poverty, Fondation Chanel, Fondation Michelin, Fondation Auteuil, Fondation pour la Recherche Médicale, Fondation SNCF, Centre Français des Fonds et Fondations, Fondation Entreprendre, Fondation de France, Fondation Caritas, Fondation Bettencourt Schuller, Fondation Habitat et humanisme.
Merci au comité éditorial avec qui nous choisissons les sujets et les orientations des articles :
Laurent Terrisse, Xavier Gay, Guillaume Brault, Agnès Lamoureux.
Merci à Carenews d’héberger le blog.
Enfin merci aux nombreux collègues qui m’ont apporté des idées pour coller à l’actualité et enfin merci à tous ceux qui ont accepté l’exercice de l’interview.
Quelle visibilité pour le blog ? Les article du blog arrivent souvent les premiers sur le site de Carenews qui l’héberge et leur lecture est en progression. Je connecte les interviews et tribunes par des posts sur Linkedin pour les faire connaître et montrer dans quelle perspective globale elles s’inscrivent. Ces messages sont visualisés jusqu’à 7 000 fois, montrant l’intérêt que peuvent trouver les internautes aussi bien sur le plan politique qu’opérationnel.
Trois ans déjà ! Nous allons continuer. Mon souhait serait que dans les années à venir, le blog permette aux publics qui s’intéressent au développement de la philanthropie, aux étudiants, aux chercheurs, aux nouveaux philanthropes… de puiser dans toute cette matière première vivante pour nourrir et enrichir leur réflexion.
Francis Charhon